Dans « Turn On », Soraya Leila Emery allume le public

Photo Gregory Batardon

En invitant les spectatrices et spectateurs à occuper la scène avec elle, la chorégraphe Soraya Leila Emery interroge le regard du public sur les corps féminins et racisés dansants, et trouble les rapports de pouvoir. 

Un gros tas de coussins et de fauteuils à l’allure duveteuse sont empilés au centre du plateau. Sur une musique électro, les danseuses prennent un à un les spectatrices et spectateurs par la main, en continuant de danser. Le dispositif est aussi joyeux qu’intimidant. Formée en tant qu’interprète à la Salzburg Experimental Academy of Dance (SEAD) et en chorégraphie à l’Université des Arts de Zürich (ZHdK), Soraya Leila Emery, Suisse-Marocaine basée à Zürich, explore la danse à travers un prisme féministe et décolonial. Avec la pièce Turn On (2023), elle fait monter le public sur scène, en compagnie des danseuses Léna Sophia Bagutti Khennouf et Donya Speaks, pour questionner le regard qu’il porte sur elles et les dynamiques de pouvoir dans l’espace scénique.

« Les odalisques se réveillent, elles prennent le contrôle de leurs désirs et ne laisseront plus personne parler à leur place », affiche la feuille de salle. Les spectateurs et spectatrices se tiennent autour de la grosse structure molle rose et beige. Ils collent presque les murs en attendant les instructions, alors que les danseuses papillonnent parmi eux. Elles s’adressent aux participants un à un : « Comment tu t’appelles ? », « Je peux te prendre la main ? Mais seulement si tu veux ! ». Elles serrent certains participants dans les bras, puis invitent les membres du public à allumer la lampe torche de leur téléphone et à les suivre. Là, elles s’exposent en prenant des poses lascives sur les coussins, jouant sur la polysémie du verbe « turn on » (« allumer » en français).

Dans cette introduction aussi intime qu’intimidante, ce sont les interprètes qui mènent la danse. Le public est néanmoins plus chouchouté que mis à l’épreuve. Le trio répartit les canapés et fauteuils gonflables sur les côtés de la scène et y installe les spectateurs, avant de leur offrir un bonbon. Au centre, dans la lumière, les danseuses en joggings colorés, agrémentés de dentelles, déploient une danse sportive, souple, tendre, mais aussi combative. Elles multiplient les glissements sur le sol, les ondulations sensuelles et les grands jetés. Le regard sur elles a-t-il changé ? Ce spectacle participatif, qui emprunte aux codes des espaces festifs, du cabaret et du théâtre érotique, brouille les rapports de pouvoir entre scrutateur et scruté. Car, si les corps féminins dansants s’exposent au regard du public, ils échappent à l’instrumentalisation, tant par le dispositif qu’elles ont instauré que par le plaisir et la liberté qui émanent de leur danse.

Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr

Turn On
Conception, direction artistique, chorégraphie et performance Soraya Leila Emery
Co-chorégraphie et performance Léna Sophia Bagutti Khennouf, Donya Speaks
Conception costume et scénographie Moni Wespi
Conception lumière Patrik Rimann
Conception sonore Sinan Moses
Dramaturgie Lyn Bentschik
Mentorat Ulduz Ahmadzadeh
Soutien dramaturgique TanzPlan Ost Mona De Weerdt, Simone Truong

Production Hot Stuff
Coproduction TanzPlan Ost
Soutiens Ernst Göhner Stiftung, E. Fritz und Yvonne Hoffmann-Stiftung, Fachstelle Kultur Kanton Zürich, Landis & Gyr Stiftung, Migros Kulturprozent, Schweizerische Interpretenstiftung SIS, Stadt Zürich Kultur

Durée : 1h 

Les Hivernales, dans le cadre du Festival Off d’Avignon et de la Sélection Suisse en Avignon
du 10 au 20 juillet 2025, à 16h10 (relâche le 15)

Paula Interfestival, Saint-Gall (Suisse)
les 17 et 18 août

Theater am Gleis, Winterthur (Suisse)
le 19 septembre

L’Échangeur CDCN Hauts-de-France, Château-Thierry, dans le cadre du festival C’est comme ça
le 2 octobre

Les Rencontres Chorégraphiques de Casablanca (Maroc)
les 4 et 5 octobre

Tanzhaus, Bâle (Suisse)
le 24 octobre

Les Printemps de Sévelin, Lausanne (Suisse)
les 7 et 8 mars 2026