Variation sur la vie amoureuse, Chasser les fantômes raconte un an de la vie d’un couple franco-africain. Un spectacle où l’écriture, la mise en scène et l’interprétation transcendent la traversée d’un quotidien.
Roxane et Marco tombent amoureux en 2008, le jour de l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche. Un événement qu’ils suivent à la télé là-bas, on ne sait pas vraiment où, en Afrique. Son pays à lui. Il l’emmène sur son scooter, la protège, chevalier, ange gardien, selon une distribution des rôles à l’ancienne. Quelques temps plus tard, en hiver, Marco rejoint Roxane en France. Son pays à elle. Il vient vivre dans son appartement. Ils veulent tenter l’expérience. Elle se dit femme épanouie dans son corps, son intérieur et son travail. Lui voudrait être musicien, mais la précarité de son statut légal l’empêche de travailler en France. Renversement de situations. Le preux chevalier reste cloîtré à la maison. Que va-t-il advenir de leur relation ?
L’histoire de ce couple franco-africain ressemble peut-être à celle de nombreux couples dits mixtes. Hakim Bah, l’auteur guinéen, qui vit en France, a en effet récolté de nombreux témoignages de ces couples pour construire son récit. Fruit d’une commande passée par le collectif ildi ! eldi, Chasser les fantômes s’est ensuite construit autour de deux interprètes, très bons, Sophie Cattani et Nelson-Rafaell Madel. S’y déploie moins la question de la miscibilité des cultures en amour que celle, toute ordinaire, de la nature des relations de couple. Et c’est tant mieux. Que la figure de l’étranger ne soit plus prise comme telle, mais ici comme support d’une variation sur les relations sentimentales, témoigne sans doute de son intégration dans le corps social. Si la question des origines affleure dans ce spectacle, elle n’en constitue pas l’axe majeur. Ce sont des scènes de la vie conjugale qui se donnent avant tout à voir, dans une version toute contemporaine.
L’écriture d’Hakim Bah, très subtilement mise en scène par Antoine Oppenheim et portée par un duo de très bons comédiens, contribue grandement à donner un nouvel éclat à ce schéma de l’histoire de couple. Cela commence micro en main, dans une écriture syncopée, ciselée, adressée, qui va ensuite se fondre dans un univers bien plus naturaliste, ordinaire, comme le dit l’auteur, de « la trivialité du quotidien ». Sophie Cattani est à la fois midinette et déterminée, dirigiste et passionnée, femme sensuelle et de caractère, toute en nuances et en facéties. Nelson-Rafaell Madel incarne lui un homme à la fois plein de vitalité et attentionné, décidé, mais lesté par sa situation sociale et légale. Il voit dans son arrivée en France sa seule chance de s’inventer un avenir, et ne pourra pas faire machine arrière.
Le récit se fond dans l’action. Monologues et dialogues alternent. Les variations dans les prises de parole font miroiter l’action en des reflets multiples, produits aussi par les lumières, le recours tout en finesse à la vidéo et l’accompagnement musical subtil de Damien Ravnich, en batterie et en électro. L’exercice de style, parfaitement maîtrisé, nuit peut-être à l’attachement qu’on peut éprouver pour les personnages. Mais, adepte d’un théâtre qui aime à mettre en musique des écritures, des paroles contemporaines, le collectif ildi ! eldi propose avec Chasser les fantômes un spectacle de très grande qualité, fin, drôle et émouvant, traversant des questions intimes et politiques, où le destin de deux amoureux peut tout du long figurer celui de toute cellule – individu, famille, nation… – dans ses difficultés à accueillir l’étranger.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Chasser les fantômes
Texte Hakim Bah
Idée originale Sophie Cattani
Mise en scène Antoine Oppenheim
Avec Sophie Cattani, Nelson-Rafaell Madel
Musique et création musicale Damien Ravnich
Scénographie, lumière et vidéo Patrick Laffont de LojoProduction Collectif ildi ! eldi
Coproduction Théâtre Joliette – Scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines – Marseille, Théâtre du Bois de L’Aune, Théâtre des Halles – Scène d’Avignon
Avec le soutien de la Région Sud, du département des Bouches du Rhône, de la Ville de Marseille, de la SPEDIDAM et des Plateaux Sauvages, Paris Accueils en résidence ZEF – scène nationale de Marseille dans le cadre d’une mise à disposition du studio, Friche la Belle de Mai, Carreau du Temple, Théâtre Episcène, Châteauvallon, scène nationale dans le cadre d’une résidence de création.
Le collectif ildi ! eldi est soutenu au titre du conventionnement par la DRAC Provence-Alpes-Côte-D’Azur.Durée : 1h25
Théâtre de Belleville
Du 7 au mardi 30 avril 2024
Lundi 21h15
Mardi 19h
Dimanche 15h
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