Inexplicablement prisonnier d’un espace hyper-réduit, un groupe de personnes y révèle toute sa médiocrité et son inhumanité : c’est la stricte trame du tout dernier texte de Lars Norén mis en scène par Sofia Adrian Jupither au Festival d’Avignon. Plutôt pénible et méchamment désespérant.
En 2016, la metteuse en scène Sofia Adrian Jupither, compatriote de Lars Norén et familière de son théâtre qu’elle a beaucoup monté en Suède et en Norvège, présentait au Festival d’Avignon la pièce 20 novembre, un saisissant monologue où la parole est donnée à un jeune terroriste allemand qui se prépare à commettre un attentat dans une école. Depuis, le dramaturge est mort à l’âge de 76 ans et laisse derrière lui 80 textes souvent bousculants, dérangeants, où la douleur et la violence à la fois intimes et sociales tiennent une place importante. Entré au répertoire de la Comédie-Française, Poussière mettait en scène un groupe d’hommes et de femmes au crépuscule de leur vie devisant sur leur propre délitement. Cette commande d’Eric Ruf passait pour le dernier titre écrit par l’auteur. C’était sans compter sur celui que fait aujourd’hui découvrir Sofia Adrian Jupither : Solitaire, écrit en 2021, où, à nouveau, le collectif s’impose et s’interroge. Dix personnages se présentent comme un bloc, ensemble et seuls face à eux-mêmes, à l’épreuve d’une situation extrême.
Sur la scène de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, l’espace est paradoxalement ouvert et fermé. Aucun mur, aucune cloison ne vient matérialiser l’enfermement inexpliqué, mais bien palpable, que vivent les personnages debout, plongés dans le noir, piégés par l’exiguïté et la promiscuité, coincés sans aucune possibilité de bouger, entassés les uns contre les autres, les uns sur les autres même, ne sachant pas comment et pourquoi ils sont arrivés là et ne pouvant nullement espérer y échapper.
La proposition dramaturgique et scénique se résume à cette unique image qui est à la fois incontestablement forte, mais aussi bien trop mince et étale. Cela donne tout de même lieu à une performance physique et mentale importante des comédiens qui composent avec la terrible contrainte. Même indistincts dans la semi-obscurité, les interprètes sont d’une justesse qui rend la situation proche et plausible. Ils campent des gens ordinaires dont les propos sont également ordinaires. Le texte ne dit rien qui n’ait déjà été très souvent dit. Comme souvent, Lars Norén sonde les troubles, les failles et les fragilités des individus confrontés à la peur de disparaître, condamnés à une existence sans but et vide de sens. Placés en situation de survie, à bout de force et de nerfs, ils cèdent à la peur panique et se retranchent dans l’agressivité purement et simplement gratuite. Ils parlent longuement, inutilement, s’apostrophent, s’invectivent, s’injurient. Ils ne parviennent pas à garder leur calme, ni à faire silence. Ils se racontent de manière elliptique. Ils prient. Ils pleurent. Quelques élans d’entraide et d’amitié ne masquent pas la bassesse et l’indignité de nombreuses réactions volontairement empreintes d’exclusion et de tentatives de domination. Égoïsme, racisme, abus sexuel, infanticide… Rien, ni personne ne sera épargné.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Solitaire
Texte Lars Norén
Mise en scène Sofia Adrian Jupither
Avec Niklas Åkerfelt, Thérèse Brunnander, Per Burell, Otto Hargne, Irene Lindh, Marianne Nielsen, Andreas T. Olsson, Mikaela Ramel, Siham Shurafa, Jonas Sjöqvist
Dramaturgie Anneli Dufva
Scénographie Erlend Birkeland
Lumière Ellen Ruge
Son Robin Auoja
Maquillage Peter Westerberg
Assistanat à la mise en scène Tiina Lantz-Hirvonen
Traduction en français pour le surtitrage Amélie WendingProduction The Royal Dramatic Theatre (Stockholm) et Jupither Josephsson Theatre Company
Co-production Den Nationale Scene (Norvège), Festival d’Avignon, Folkteatern i Göteborg (Suède), Riksteatern (Suède), Svenska Teatern i Helsingfors (Finlande), Uppsala Stadsteater (Suède)
Construction décors et confection costumes The Royal Dramatic Theatre (Stockholm)
Avec le soutien de l’Institut Suédois
Co-accueil Festival d’Avignon, La Chartreuse-CNES de Villeneuve lez AvignonDurée : 1h40
Festival d’Avignon 2022
Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon
du 15 au 23 juillet, à 16h
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