Mise en scène par Julia Vidit, la pièce de Guillaume Cayet revient, par la voie fictionnelle, sur le mouvement de grève scolaire pour le climat lancé par Greta Thunberg, et examine les moyens et les fractures de la lutte contre le dérèglement climatique.
Sur son macabre tableau de chasse, la pandémie de Covid-19 aura accroché le scalp de l’un des mouvements les plus massifs de ces dernières décennies, la grève scolaire pour le climat, qui, à son apogée, à la fin de l’année 2019, avait réuni plusieurs millions de lycéens et d’étudiants à travers le monde. Lancée, à l’été 2018, par Greta Thunberg, mais stoppée net par les mesures de confinement décidées en mars 2020 dans nombre de pays, cette mobilisation avait un objectif clair : pousser les dirigeants internationaux à aller plus loin, beaucoup plus loin, dans leur action contre le dérèglement climatique. Avec Skolstrejk (La grève scolaire), le dramaturge Guillaume Cayet cherche à donner une seconde vie à ce mouvement, ou plutôt à en comprendre les causes, à examiner la manière dont une génération peut se mettre en ordre de bataille pour tenter de modifier le cours des choses, d’enrayer l’avénement d’un avenir bien sombre.
Pour Louise, son héroïne, la prise de conscience s’opère là où le bât blesse parfois, sur les réseaux sociaux, entre un message privé et deux likes sur Instagram. Au gré des contenus qu’elle fait défiler, la lycéenne tombe sur une vidéo de Greta Thunberg qui appelle à la jeunesse à se lancer dans une skolstrejk för klimatet (grève scolaire pour le climat). Elle se renseigne alors sur ce dérèglement climatique dont elle méconnaît les effets dévastateurs, au-delà de « la mort des pingouins en Alaska ». Ses découvertes sont un choc, provoquent chez elle une sorte d’épiphanie écologiste et la poussent à chercher une voie de mobilisation à son échelle, celle de l’établissement scolaire où, chaque jour, elle se rend. Sous la pression de ses parents, vent debout contre les prétentions grévistes de leur fille, et de son petit ami Nathan, préoccupé par leur histoire d’amour, elle croise la route d’Aube, un étudiant-militant radical, qui lui ouvre le champ des possibles de la lutte, et notamment celle de « l’immobilité contre-productive ».
En fin observateur du réel, Guillaume Cayet ne verse pas dans l’utopie d’un mouvement qui emporterait tout, et notamment l’adhésion de chacun, sur son passage. Le dramaturge s’attache plutôt à démontrer les résistances qui affleurent et les étincelles qui naissent au rythme de la croissance de ce combat, pourtant universel : la discorde entre les lycéens et leurs aînés, parents comme professeurs, qui veulent faire taire, voire méprisent, la mobilisation au motif des impératifs du quotidien ; la querelle entre les jeunes eux-mêmes, qui, pour certains, sont davantage préoccupés par la fin du mois que par la fin du monde ; le schisme entre ceux qui se bornent aux revendications écologistes et ceux qui diffusent un discours anti-capitaliste, qui font du changement de modèle économique la condition sine qua non pour endiguer le péril climatique. Face à ce texte qui, avant d’atterrir au Théâtre 14 dans le cadre du Paris OFFestival, avait été joué à plusieurs reprises en milieu scolaire, jeunes comme vieux peuvent s’y retrouver. Les premiers en prenant conscience de la possibilité d’une lutte, les seconds en acceptant que leur logiciel soit dépassé et qu’ils ont, aussi, les clés en main pour encourager au lieu d’entraver.
Tantôt narrateurs, tantôt personnages, Morgane Deman et Sébastien Poirot amplifient encore cette volonté inclusive. Sous la direction de Julia Vidit, désormais patronne de La Manufacture de Nancy, les deux comédiens se comportent à la manière de turbulents élèves qui, debout sur le bureau ou assis parmi les spectateurs disposés façon salle de classe, voudraient chahuter leur bulle de confort pour être sûrs de se faire entendre. Grâce au texte cousu main par Guillaume Cayet, qui alterne, sans l’appuyer, langue « nouvelle génération » et concepts précisément expliqués – de l’anthropocène au capitalocène –, ils se mettent à la portée de tous et au service du commun. Confronté à ce miroir qui, s’il reste fictionnel, n’en reste pas moins imprégné de réel, chacun pourra, notamment dans l’ultime pirouette dramaturgique, s’interroger sur le rôle qu’il joue, sur les choix qu’il fait, sur les décisions qu’il prend. Autant de variables, parfois infimes, qui pourraient, à en croire Skolstrejk, influencer profondément le cours de l’histoire.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Skolstrejk (La grève scolaire)
Texte Guillaume Cayet
Mise en scène Julia Vidit
Avec Morgane Deman et Sébastien PoirotProduction Java Vérité
Production déléguée La Manufacture CDN de Nancy Lorraine
Avec le soutien de la DRAC Grand Est, du Lycée Chopin – Nancy, et du Trident – Scène Nationale de CherbourgDurée : 50 minutes
Villeneuve en Scène à la Salle des Conférences
du 10 au 22 juillet 2023 (sauf les 14 et 16)
à 18h
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