Initié par Henri jules Julien, le projet Shaeirat شاعرات a donné à entendre au 76e festival d’Avignon les voix de poétesses originaires des pays arabes et permet de découvrir la richesse de leur écriture. Rencontre avec deux d’entre elles, Carol Sansour et Asmaa Azaizeh.
Si Shaeirat #2 donne la parole à deux poétesses respectivement syrienne (Rasha Omran) et marocaine (Soukaina Habiballah), son premier opus a réuni deux écrivaines palestiniennes. La première, Carol Sansour, est née en 1972 à Jérusalem. Après des études en Caroline du Nord, un passage dans son pays et une décennie aux Émirats Arabes Unis, elle vit désormais en Grèce. Celle qui se définit comme une agitatrice et provocatrice sociale co-anime le site spécialisé en littérature The Sultan’s Seal. Son recueil de poèmes À la saison des abricots a été publié en français aux éditions Héros Limite en 2022 (enrichi d’un autre cycle de poèmes). Dans cet ouvrage, l’autrice alterne entre des listes d’apparence très prosaïque (énumération de lieux ou de situations) et des récits, comme autant de plongées dans ses souvenirs qui mêlent la captation fine du contexte politique et social à une recherche au plus près des sensations.
La seconde, Asmaa Zaiazeh, est née en 1985 en Basse-Galilée et réside aujourd’hui à Haïfa. Poétesse, artiste et essayiste, elle a travaillé plusieurs années en tant que journaliste en presse écrite, télévisée et radio pour des médias palestiniens et arabes. Nommée directrice du musée Mahmoud Darwish de Ramallah en 2012, elle a reçu des prix pour ses recueils de poésie. Ne me croyez pas si je vous parle de la guerre – qui constitue son dernier recueil publié (2019) – a à ce jour été traduit dans de nombreuses langues. Sa poésie, très concrète, interpelle par sa manière de relier métaphores et images réalistes – sans jamais oblitérer l’environnement dans lequel elle vit et la situation palestinienne.
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Carol Sansour : Nous nous connaissons dans le sens où Asmaa est palestinienne, comme moi, et où nous écrivons toutes les deux de la poésie, mais nous n’avions, jusqu’à présent, jamais eu l’occasion de nous rencontrer. J’ai quitté la Palestine il y a quinze ans et, quand j’y retourne, je n’ai pas accès à Haïfa où elle vit. En fait, avec les trois autres autrices qui composent Shaeirat (Soukaina Habiballah, Rasha Omran, Asmaa Azaizeh), nous nous sommes toutes rencontrées à l’occasion de ce projet, pour des raisons géopolitiques.
Comment avez-vous rencontré Henri jules Julien ?
C.S. : Je l’ai rencontré il y a trois ans environ, au Caire, lors de la publication en ligne de mon premier recueil de poésie sur un blog. Jules l’a découvert lorsqu’il était en Égypte, il a aimé le texte et il m’a fait le cadeau de le traduire, sans que je le sache. Lorsqu’il a eu terminé cette traduction, nous avons commencé à travailler ensemble pour peaufiner les textes et publier mon premier livre en arabe, en français et en anglais.
Asmaa Azaizeh : Lorsque Jules m’a contacté il y a quelques années, son objectif était d’initier une traduction. Je ne sais pas comment nous en sommes venus à parler de cette performance, mais nous avons produit Ne me croyez pas si je vous parle de la guerre en 2019. Nous l’avons jouée en Palestine et tout ce projet s’est développé au cours des deux dernières années.
Le fait qu’ici, à Avignon, la majorité du public soit francophone et ne comprenne, de fait, qu’une traduction de vos écrits modifie-t-il votre relation à lui ?
C.S. : Shaeirat m’a déjà beaucoup apporté. Auparavant, j’avais des doutes sur la capacité d’un public français à comprendre ma poésie, mais maintenant, je suis sûre qu’elle est universelle. Tout le monde peut rire quand je me moque des nonnes ou quand je parle de ma sœur et moi jouant dans le jardin. Sentir que je pouvais faire rire, pleurer, ressentir de l’émotion au public ici m’a rassurée.
Aviez-vous déjà réalisé ce type de performance ? Comment avez-vous décidé de la manière dont vous alliez-vous produire ?
C.S. : Je lis mon travail bien sûr, mais je le fais dans des montages très traditionnels où je lis des extraits de mes recueils. À la saison des abricots n’avait jamais été lu en entier et je n’avais jamais expérimenté cette gestuelle théâtrale. La présence de ma partenaire Christelle Saez sur scène ajoute par ailleurs une autre dimension à la lecture. C’est une personne avec une culture différente, qui donne une nouvelle voix à mon texte. L’idée de la mise en scène, quant à elle, revient à Jules, qui a vu que ce texte pouvait se suffire à lui-même sans accessoires.
A.A. : Absolument. Tout d’abord, même si elle n’est pas tout à fait similaire à sa première version, ma performance a été conçue il y a trois ans. A la sortie de mon deuxième recueil de poésie en 2015, j’avais déjà imaginé une proposition avec des musiciens et de la vidéo. Pour la performance, nous n’avions pas de vision claire, mais je souhaitais travailler avec Adam (mon mari) et Haya Zaatry (la chanteuse qui m’accompagne). La création de l’œuvre a été un long processus. Nous réfléchissions, par exemple, à voix haute, je récitais un poème devant Adam, lui me proposait une idée de vidéo, et Haya improvisait, jusqu’à ce que l’on trouve des sons qui nous plaisent.
Avez-vous une source d’inspiration particulière ou un processus créatif spécifique ?
C.S : Non. Je suis une personne très émotive, et mes inspirations dépendent de ce que je ressens ce jour-là. Je suis loin d’être une autrice disciplinée. J’essaie d’écrire la poésie que j’aurais aimé lire quand j’étais plus jeune. Par exemple, dans mon recueil de poésie, je mélange un langage classique avec des formes plus familières, de l’arabe parlé, une poésie qui est en contact avec la rue, la vie quotidienne. Cela n’est pas forcément le cas de la poésie arabe classique qui est parfois inaccessible et se résume pour moi à des clichés et à de la rhétorique.
A.A : C’est ironique car, depuis la publication de mon dernier recueil, je n’ai pas d’inspiration. J’éprouve un syndrome de la page blanche depuis un moment maintenant. Mais, en général, tout peut être une source d’inspiration : essentiellement ma propre vie et mes expériences personnelles. Mes sources d’inspirations ne sont jamais une notion abstraite, un arbre ou un paysage. Pour moi l’idée doit vraiment jaillir de ce que j’ai vécu.
Quels seraient les points communs entre vos poésies ?
A.A. : Certes, tout le monde écrit différemment, mais le fait est que toute poésie provient d’une certaine géographie. Je pense qu’il y aura toujours comme de fines lignes qui nous relient, et que vous pouvez trouver dans nos poèmes en tant qu’auditrice ou lectrice. Cela ne signifie pas que l’on doive écrire spécifiquement à propos de la Palestine, mais que la poésie vit. Si Carol écrit depuis la diaspora, elle a vécu en Palestine, est née là-bas. Même si vous n’écrivez pas sur le lieu, il est là.
C.S. : Effectivement, le lieu est là. Mais si je peux utiliser un cliché, je pense que ce qui nous rassemble le plus c’est la féminité. Shaeirat, ce sont des femmes qui racontent leurs histoires. Même si nous sommes totalement différentes, des thèmes se répètent d’un projet à l’autre. De plus, j’ai le sentiment que nous ne sommes pas seulement des femmes, mais aussi des créatures puissantes et le caractère unique de chacune d’entre nous est ce qui nous rassemble.
Quand avez-vous commencé à écrire de la poésie ? Et à vous considérer comme poétesse ?
C.S. : Je ne me souviens pas quand j’ai commencé à écrire de la poésie ou quand mon écriture a été qualifiée comme telle. Je me souviens avoir toujours écrit – j’ai aussi publié des articles. Tout mon travail était publié sur des blogs, et vers 2016, mes amis ont pensé qu’il était temps de le mettre en avant. C’est cette impulsion qui m’a menée vers la publication de mon premier recueil.
A.A. : J’ai commencé à écrire de la poésie à l’âge de dix-huit ou dix-neuf ans. Mais ma relation avec la poésie remonte à mon enfance, avant même que j’apprenne à écrire et à lire. Mon père avait l’habitude de lire et de réciter des poèmes classiques devant moi et je les apprenais par cœur, sans même comprendre leur sens. À l’âge de huit ou neuf ans, j’ai commencé à composer de la poésie dans une langue inconnue, inventée, juste pour tester les sons. Cette relation précoce à la poésie s’est transformée plus tard en écriture, et c’est au fur et à mesure de ce processus que j’ai commencé à me considérer comme une poétesse.
Asmaa Zaizeh vous êtes restée à Haïfa, tandis que vous Carol Sansour vivez maintenant en Grèce. Pourquoi ces choix de lieu de vie ?
C.S. : Je suis une Palestinienne chanceuse, je n’ai pas été forcée physiquement de quitter ma patrie. Mais j’y ai été forcée émotionnellement et économiquement. Il y a le déplacement qui s’est produit avec des bombes et des fusils, à cause des nombreuses restrictions. Bethléem est une prison à ciel ouvert, et économiquement ce n’était pas viable pour moi et pour ma famille, alors je suis partie. C’est un choix qui n’en était pas vraiment un.
A.A. : Je suis née dans un petit village près de Nazareth, puis j’ai étudié à Haïfa, et je suis restée là-bas. Mais cette région devient de plus en plus invivable. Même dans une ville comme Haïfa, promue comme une ville de coexistence, tout le monde fait profil bas. Et nous l’avons vu en mai dernier, quand tout a brûlé : dès que la moindre étincelle se produit, tout s’embrase. Je ne suis pas heureuse de vivre à Haïfa et j’en suis désolée car Haïfa devrait être une belle ville.
Carol Sansour, vous vous décrivez comme une poétesse qui s’intéresse aux identités post-nationales, post-sexe et post-religion. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
C.S. : Toutes ces identités sont des conneries, des clichés, un charabia juste conçu pour le consumérisme. Par conséquent, je n’aime vraiment pas être réduite à mon identité nationale, religieuse ou de genre. Quand on me demande si je suis une artiste arabe, une féministe, une chrétienne, on conçoit tout de suite un ensemble de stéréotypes. Je suis tout cela, mais je veux être plus libre que ces assignations contraignantes. Je possède un point de vue très fort sur notre existence en tant qu’humain, et c’est un moteur pour ma poésie.
Propos recueillis par Hanna Bernard – www.sceneweb.fr
Shaeirat #1 شاعرات
À la saison des abricots
Poème Carole Sansour
Dramaturgie Henri jules Julien
Avec Carole Sansour, Christelle Saez
Production Haraka Baraka
Coproduction Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi Scène conventionnée pour la diversité linguistique
Résidence Association Jean Vilar – Maison Jean Vilar
En partenariat avec France Médias MondeNe me croyez pas si je vous parle de la guerre
Poème Asmaa Azaizeh
Avec Asmaa Azaizeh, Haya Zaatry
Musique, chant Haya Zaatry
Vidéo Adam Zuabi
Traduction en français pour le surtitrage Henri jules Julien, Mireille MikhaïlProduction Asmaa Azaizeh, Haya Zaatry, Adam Zuabi
Production déléguée Haraka Baraka
Coproduction Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi Scène conventionnée pour
la diversité linguistique
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 2h30 (entracte compris)
Festival d’Avignon 2022
Gymnase du Lycée Saint-Joseph
du 16 au 19 juilletEn tournée :
À la saison des abricots
Centre Culturel André Malraux, Vandoeuvre-lès-Nancy
du 17 au 19 mars 2023La Halle aux Grains, Blois
les 21 et 22 mars,Le Grand R, La Roche-sur-Yon
le 23 marsAthénor Scène nomade, Saint-Nazaire
les 24 et 25 marsThéâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
le 29 marsLe Safran, Amiens
le 5 avrilLa Scène nationale d’Orléans
le 12 maiCentre de Culture ABC, La Chaux-de-Fonds
les 14 et 15 maiNe me croyez pas si je vous parle de la guerre
Centre Culturel André Malraux, Vandoeuvre-lès-Nancy
les 17 et 18 mars 2023Le Grand R, La Roche-sur-Yon
le 23 marsAthénor Scène nomade, Saint-Nazaire
les 25 et 26 marsThéâtre Cinéma de Choisy-le-Roi
le 30 marsMaison de la Culture d’Amiens
le 3 avrilLa Scène nationale d’Orléans
le 11 maiTPR – Théâtre Populaire Romand, La Chaux-de-Fonds
le 11 maiLe Lieu unique, Nantes
le 24 mai
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