Pierre Meunier aurait dû être sur scène au Nouveau Théâtre de Montreuil dans L’Homme de plein vent avec Hervé Pierre. La pièce est déjà re-programmée la saison prochaine du 22 avril au 12 mai 2021. En attendant le comédien et metteur en scène nous envoie son message de confinement de l’Allier et ses conseils culturels.
Nous voilà donc interrompus dans nos trajets, dans nos courses, nos folles courses, dans nos élans cinétiques, nos changements d’adresse, nos jetlags en bermuda, fini d’avaler du kilomètre sans même regarder ce qu’on traverse, nous en voilà réduit à nous contenter d’images, encavernés que nous sommes en nos logis confi-connectés. Il reste heureusement l’imaginaire pour nourrir la rêverie d’un ailleurs dont la possibilité même s’est réduite au strict minimum. L’ailleurs interdit, c’est donc ici, là où nous sommes assignés depuis presque quatre semaines, que tout nous reste à vivre. Sacré défi ! Peut-être le moment de lire ce texte d’Isabelle Eberhardt sur le droit à l’errance, un texte qui donne à réfléchir sur l’usage que nous faisons de notre capacité de mouvement lorsqu’il nous est permis, sur l’obsession constamment valorisée de la ligne droite, de l’optimisation de tout processus, entraînant de fait une disqualification de tout ce qui se perd, hésite, cherche sans trouver aussitôt, bafouille, échappe à la détermination, boîte, grince, cahote et ne sourit pas à la demande. Chaque relecture de ce texte me stimule et me réjouit au plus haut point, j’y vois aussi un écho au théâtre auquel j’aspire et me consacre, à savoir un théâtre d’équipe fondé sur l’expérience et l’exploration qui finit par se partager avec le public après un parcours imprévisible où le doute et l’enthousiasme mènent conjointement la danse.
Ce texte précieux résonne aussi tellement fort avec une phrase-clé de Babouillec dans Algorythme Eponyme (ed Payot) à méditer sans modération : MYSTÉRIEUSEMENT NOS SOIFS D’AVENTURE S’AUTOCENSURENT
Je vous conseille vivement la lecture des écrits de Babouillec, éditée chez Payot, ses fulgurances poétiques et la profondeur de sa pensée risquent fort de laisser en vous d’indélébiles traces.
A propos de théâtre, ou plutôt de son absence organisée, j’ai retrouvé ce texte de Yves Klein que je vous transmets. Il date de 1960, et ne laisse pas qu’un peu rêveur…
« L’avenir du théâtre, c’est une salle vide : ce n’est plus de salle du tout !
Créer une sorte de théâtre privé, à fréquenter (affectivement) par abonnement.
Les membres reçoivent chacun, en échange de leur cotisation, un siège à leur nom dans la salle vide du théâtre où se donne la constante manifestation sans acteur, sans spectateur, etc. Cette constante a-représentation, dans cette salle où ne pénètre plus personne après son installation, doit avoir des moments plus intenses que d’autres; signalés, au début, aux abonnés, par un programme qu’ils reçoivent par la poste ou…autrement ! A ces moments particuliers, le soir de préférence, ou au petit matin, au lever du soleil, le théâtre doit être illuminé, brillamment, de manière que cela se voie bien de l’extérieur (la situation idéale d’un tel théâtre, pour l’instant, serait à Paris, celle du Marigny, par exemple).
Encore une fois, je le répète, tout est fermé, personne ne peut entrer à l’intérieur, seul le bureau de location à l’entrée est ouvert pour que les retardataires et non abonnés puissent au dernier moment, louer les quelques défections avant chaque manifestation. Le directeur d’un tel théâtre devra rechercher dans la ville, à la campagne ou au cours de longs voyages effectués à cet effet, les acteurs qui conviennent et ainsi constamment renouveler la troupe. Les acteurs seront choisis par lui dans la rue, partout ou ailleurs, et devront signer aussitôt un contrat ferme, avec avance sur leurs honoraires.
Le nouvel acteur ainsi choisi n’aura rien d’autre à faire qu’à savoir qu’il est un acteur et à passer pour toucher ses cachets après chaque séance ou « au moment d’hyper-intensité » indiqué dans le programme des abonnés. Après avoir été ainsi engagé, l’acteur s’enfuira chargé de cette nouvelle et grave responsabilité d’être un acteur et disparaîtra dans la foule, dans la société, pour devenir enfin un visiteur sérieux dans le gigantesque musée du temps passé qu’est devenu le monde moderne aujourd’hui ! »
(Extrait de « Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits « de Yves Klein – édition Beaux Arts de Paris – 2011 )
J’ai la chance d’habiter en pleine campagne non loin d’Hérisson dans l’Allier, au centre de la France, où nous disposons depuis 2011 du Cube qui est le lieu de travail de la Belle Meunière et que nous prêtons dès que nous ne l’utilisons pas à des équipes en recherche. C’est le bocage bourbonnais où pâturent à l’année des génisses aux yeux doux et où les vieux marchent dans les villages en s’appuyant aux murs pour retarder leur effondrement. Ce dessin de ma fille Angèle qui a 9 ans dépeint bien mieux que moi ce paysage. En ce moment, le printemps s’y déploie avec une puissance que je goûte jour après jour. Je n’en dirai pas plus, je compatis à toutes celles et ceux qui coincés en ville rêveraient d’arpenter les bois et les champs, de lire au creux des branches d’un chêne, d’allumer des feux à l’orée de la forêt, de ramasser de la ciboulette sauvage le long des chemins…
Je conseille la découverte salutaire, si ce n’est déjà fait, de Georges Karl, un comique qui porte la maladresse à un niveau rarement atteint, permettant ainsi de mieux supporter la nôtre. Un visionnage par jour pendant 10 jours.
Une initiative passionnante de Sylvain Creuzevault et sa bande : il s’agit de l’enregistrement jour après jour du Decameron de Boccace (1348), ce recueil de nouvelles racontées par sept jeunes filles courtoises et trois jeunes hommes provisoirement épargné-es par la peste qui sévit à Florence et retiré-es sur les pentes enchanteresses de Fiesole durant deux semaines à l’ombre de bosquets. Chaque nouvelle est dite par des actrices et acteurs chaque fois différents, montée et mixée pour une écoute quasi haletante !
Enfin, pour vous rassurer si vous aviez la moindre inquiétude, je vous conseille cette pastille réconfortante : Ze Situationne – Emma la clown rassure les français
Je vous souhaite endurance et d’heureuses découvertes malgré et à cause des temps à venir, ainsi que le meilleur pour vous et vos proches,
Pierre Meunier
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