Dans un travail touchant, forcément touchant, sur, et avec, des femmes qui ont refusé de quitter leur pays alors que leur vie y est périlleuse, l’Uruguayenne Tamara Cubas redonne une voix à celles qui ne l’ont jamais. Mais, malgré sa forme chorale et ritualisée, Sea of Silence se révèle très âpre.
Ce sont des femmes qui ont vu leurs terres colonisées, dont les grands-parents ont été séquestrés, dont les mères, les sœurs, et elles-mêmes peut-être, ont été violées. Alors, désormais, elles veulent faire entendre leur colère. La metteuse en scène Tamara Cubas, formée aux arts visuels et à la danse, travaille depuis vingt ans selon deux axes : le premier est consacré au corps performatif comme vecteur d’autonomie, le second questionne l’Autre avec des projets construits autour de personnes qui ne sont pas artistes. C’est le cas de Sea of Silence pour lequel elle réunit sept femmes venues du Nigeria, d’Egypte, d’Indonésie, du Brésil, du Chili, du Mexique et d’Uruguay.
Sur un tapis de sel, elles profèrent un seul et même cri qui se décline en diverses langues – espagnol, edo, arabe, mapuche, malais, didxaza, borum –, se trouve amplifié par leur souffle et doublé du bruit permanent d’un grondement sourd. Tout est intranquille dans ce décor immaculé et crissant – un arbre mort descendu des cintres comme un lustre ajoute à cet effet de dérèglement. Avant que la parole ne surgisse, il a fallu passer par une sorte de sas auditif : le chant choral de ces femmes venue du tréfonds de leur gorge est, certes, leur façon d’acter une sorte de naissance au plateau, où leur identité, souvent spoliée, leur ait rendue, mais il constitue aussi une très rude entrée en matière.
L’affirmation d’elles-mêmes passe également par une mue physique. Simplement et légèrement vêtues en entame de spectacle, elles déterrent dans le sol en sel des robes et des bijoux dont elles se parent autour de leur cou, dans leurs cheveux. Comme pour montrer à quel point elles tiennent seules debout. Aller de l’avant est leur credo, c’est leur raison d’être ici, dans cette matière nourricière que la metteuse en scène a choisie pour faire écho à cet épisode de la Genèse où la femme de Loth est transformée en statue de sel pour avoir regardé en arrière afin d’apercevoir Sodome, sa ville en proie aux flammes qu’elle fuyait.
Dans Sea of Silence, il n’est pas question de tout quitter, mais bien d’occuper sa place. Ces femmes sont fortes, puissantes et sacrées. Elles l’affirment avec fermeté. Reines en leur royaume, elles refusent aussi les humiliations contingentes aux parcours migratoires. Elles ne seront pas fouillées, n’iront pas se cacher dans les forêts. « La rue est à nous », disent-elles. Leurs yeux, leurs corps sont « des balles ». Ils sont même une seule entité dans les déplacements chorégraphiques ondulatoires qui décuplent leurs discours, mais ces paroles sont malheureusement entravées par un rythme lent, constamment ritualisé et souvent monocorde qui en amoindrit la portée. Sea of Silence est une ode à leur liberté retrouvée étrangement enfermée dans une mise en scène très codée.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Sea of Silence
Conception, mise en scène et scénographie Tamara Cubas
Avec Noelia Coñuenao, Karen Daneida, Dani Mara, Ocheipeter Marie, Hadeer Moustafa, Sekar Tri Kusuma, Alejandra Wolff
Collaboration artistique Gabriel Calderón, Vachi Gutiérrez
Assistanat à la mise en scène Alicia Laguna
Son Francisco Lapetina
Lumière Ivana Dominguez
Costumes Brian Ojeda
Collaboration aux costumes Agustín Petronio
Recherche visuelle Verónica Cordeiro
Traduction pour le surtitrage Joana FrazãoProduction Tamara Cubas
Coproduction Campo Abierto (Riviera), Festival D’Avignon, Fundación Teatro a Mil (Santiago), Comedia Nacional Uruguay, Tanz in August/HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Teatro Línea de Sombra (Mexico), Zürcher Theatre Spektakel (Zürich)
Avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique
Avec l’aide de National Institute of Performing Arts (Montevideo), Espacio de Arte Contemporáneo (Montevideo), The QDance Center (Lagos), Salina Artes (Salina Cruz), Indonesian Dance Festival (Jakarta)
Résidences Campo Abierto (Rivera)
Remerciements Indonesian Dance Festival (Jakarta)Durée : 1h30
Festival d’Avignon 2024
Théâtre Benoît-XII
du 4 au 9 juillet (sauf le 7), à 19hInternational Festival Berlin Tanz im August
les 16 et 17 aoûtZürcher Theater Spektakel, Zurich
du 21 au 23 aoûtFundación Teatro a Mil 2024, Santiago (Chili)
en janvier 2025Montevideo, Uruguay
en février 2025
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