L’histoire est un peu mince, aussi évanescente que de la poussière d’étoiles, mais l’ambiance, elle, s’impose grâce à l’attention portée à la composition visuelle et musicale. Moon ou Les dentelles du Cygne est une rêverie au creux de l’enfance, une plongée dans cette zone floue du sommeil, terrain de peurs et de jeux. La grâce de Sarah Brannens illumine l’onirisme des tableaux concoctés par Nicolas Liautard et Magalie Nadaud.
Le titre est une invitation à la poésie scénique, au vagabondage cosmique, à décoller vers la lune et ses connotations oniriques. Moon ou Les dentelles du Cygne est un solo tout de blanc vêtu habité par une petite fille qui évolue dans un monde imaginaire peuplé de planètes, d’inventions étranges, un monde en orbite qu’elle arpente en tenue de cosmonaute, exploratrice de l’espace mental infini de son cerveau au repos. Car Sam dort, elle rêve et nous embarque dans son voyage intérieur, celui de ses projections, de ses envies, de ses peurs aussi.
On retrouve avec joie la Compagnie Robert de profil, dans une salle pleine d’enfants, des petits autour de 4-5 ans venus en nombre dans le cadre scolaire. Dans le hall d’accueil, le niveau sonore est à son maximum. Une cacophonie désordonnée qui laisse bientôt place à un silence contrastant. Et l’on repense à Balthazar, vu il y a quelques années, avec cet âne, un vrai, couronné de fleurs, dont l’image nous accompagne encore. Plus récemment, et pour des plus grands, Pangolarium et La Loi de Murphy nous avaient entraîné dans une série théâtrale à suspense, flirtant avec le fantastique. C’est que la compagnie semble aimer travailler à la lisière du vraisemblable, convoquer au plateau un univers étrange et pénétrant, un monde plus grand que le nôtre où les frontières entre le possible et l’impossible s’estompent. Où l’imaginaire prend le pas sur le réel, la logique, la raison.
Ici, notre héroïne vogue au pays de son imagination. Casque vissé sur la tête, elle tâtonne d’abord, se déplace à l’aveugle, éprouve les contours de l’espace qu’elle arpente, se prend le pied dans une corde. En quête de sa propre liberté, elle se heurte à un environnement qui la contraint. En quête d’infini, elle tâte le cadre, les limites de son exploration. Les parois de la cage de scène arrêtent son désir d’évasion, alors la voilà qui revient, retire son casque, et donne libre cours à ce qui l’habite. Sarah Brannens qui l’incarne – vue récemment dans Je suis trop vert de David Lescot, mais aussi dans Cavalières d’Isabelle Lafon – porte en elle ce charme de l’enfance. Visage juvénile et teint diaphane, elle évolue, dans cette scénographie clairsemée, au contact des éléments, et s’approprie les objets pour les plier à ses jeux. Un sèche-cheveu devient téléphone et la dictée magique épelle des mots qui résonnent avec l’état de sommeil dans lequel elle se trouve : noir, seul. Le spectacle aborde par micro touches les interrogations propres à cet âge où tout est question, où curiosité et peur se côtoient. « Qu’est-ce que tu fais quand je suis pas là ? » dit-elle à son chat, Moon ; « Où vont les choses quand elles disparaissent ? »… Les questions la traversent, légères, sans réponse, comme des nuages qui passent.
S’il n’est jamais appuyé, et c’est son charme, le propos reste cependant un peu en surface, sans intrigue claire ni substantielle. Et l’adresse de Sam se perd parfois dans une question simple qui nous traverse : à qui parle-t-elle ? À l’intention du public, certes, mais quelle est la place de sa présence dans sa fiction à elle ? Ce flottement parcourt également le rythme du spectacle, encore un peu frais peut-être. Ici, le développement narratif n’est pas ce qui anime Nicolas Liautard et Magali Nadaud. Le tandem préfère donner la priorité au temps évanescent des rêves de l’enfant, à l’atmosphère lunaire, à ce mélange sensoriel de son et lumière. La musique baigne le spectacle de ses nappes planantes et ce dernier tableau vivant, la traversée de Sam entre deux rideaux, l’un de plastique transparent, l’autre comme une couverture de survie géante, propose une vision saisissante : la flamme d’une bougie ondoyante sur fond d’une immense feuille d’or comme un soleil palpitant qui l’enveloppe. L’enfant est démiurge en son royaume. La nuit lui appartient. Et le public le lui rend bien, attentif, réactif, prompt à rire ou s’exclamer devant la beauté des images créées. Et lorsqu’enguirlandée de lumière, Sarah Brannens porte le flambeau de la féérie, son accoutrement provoque des murmures d’émerveillement.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Moon ou Les dentelles du Cygne
Texte, mise en scène et scénographie Nicolas Liautard, Magalie Nadaud
Avec Sarah Brannens et, à l’image, Sasha Molitor Rosich, Célia Rosich, Johann Molitor, le chat Kouk
Création musique, son, lumière et vidéo Nathan Avot
Création costumes Sara Bartesaghi Gallo, Simona Grassano
Création vidéo Christophe BattarelProduction Cie Robert de profil
Coproduction Centre des Bords de Marne, Le Perreux
Soutiens Ministère de la Culture, DRAC Île-de-France, Conseil départemental du Val-de-MarneDurée : 30 minutes
À partir de 4 ansThéâtre Dunois, Paris
du 12 au 22 décembre 2024Théâtre des Deux-Rives, Charenton-le-Pont
du 27 au 29 janvier 2025
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