Pour sa première mise en scène à destination du jeune public, Ambre Kahan flirte avec un récit horrifique dans Santa Park. S’il est séduisant sur le plan formel, il s’avère beaucoup plus brinquebalant sur le fond avec une narration décousue.
Guidé vers son siège à la lumière des loupiottes des ouvreurs et ouvreuses dans la petite salle plongée dans le noir, le public pénètre dans un univers hostile. On aperçoit une forêt au lointain, une cabane circulaire en bois plus en avant et deux tours qui étrangement serviront bien peu. Au Théâtre des Célestins de Lyon, où elle est artiste associée, Ambre Kahan semble avoir agrandi l’espace de jeu. Déjà en 2023, sur le grand plateau, elle poussait les murs pour sa fresque d’après Goliarda Sapienza, L’Art de la joie.
Surtout, ce qui saisit d’entrée ici est un travail impeccable sur le son et l’image : il fait nuit, l’orage éclate, les éclairs éblouissent et le bruit de la pluie est assourdissant. Bienvenue en terrain menaçant, celui des contes qui se transmettent de génération en génération d’enfants depuis l’éternité : « Il était une fois une forêt calcinée, des chauves-souris enragées ». Les gamins, Arthur et sa cousine Hécate – nom d’une déesse protectrice des magiciens aux multiples pouvoirs –, jouent à se tronçonner la tête comme d’autres à chat perché. Le sang gicle, mais même pas mal. Avec eux : un adulte, Gardien (car c’est leur « ange gardien »), va bientôt mourir. C’est Pépé, la chauve-souris survitaminée, qui prendra le relais.
Si le caractère très singulier de chacun des personnages (finement masqués) permet à Ambre Kahan d’opérer des variations de rythme bienvenues pour éviter que le spectacle ne se tienne que sur le mode haut, déjanté et énergique des enfants, la narration entrave la dynamique équilibrée enclenchée. Il est question de coma, de maladie, d’hôpital, de manifestations aux revendications de « débranchez-les tous », de 49.3, de commerçants inquiets, de tentatives de vol, avant que ne commence un long jeu, une sorte de Time’s Up. À chacun de faire découvrir aux autres qui il imite. Certes, ce passe-temps est propice à l’absurde, mais, puisqu’il est transposé au plateau, il est surprenant qu’il ne soit pas devenu matière à théâtre. Sauf à considérer que les noms débités à la chaine se valent (« Margaret Thatcher, un intermittent du spectacle, un Playmobil, Patrick Sébastien »).
À l’instar de cette séquence, le récit est flottant. Les moralines, propres au format des contes, et intéressantes ici, se noient dans le flot de paroles et d’agitation au sein de la cabane désormais déployée, magnifiquement et ingénieusement décorée. Poussés à développer leurs propres initiatives – « Il y a que ceux qui ne font rien qui ne cassent rien » – et à apprendre encore et toujours pour lutter contre l’ignorance et les fake news qui gangrènent le monde et les démocraties – « Apprends pourquoi le monde tourne et ce qui le fait avancer […] Apprendre est tout ce dont vous avez besoin. Regardez tout ce qu’il y a à découvrir » –, les enfants ont maintenant de vraies armes entre leurs mains. Il va falloir qu’ils prennent le relais des adultes qui disparaissent et cèdent le « jeu du manchot », « colin braillard » et « 1 2 3 sommeil » à d’autres, qu’ils acceptent la mort et sortent de cet entre-deux, « entre nulle part et au revoir », comme l’écrit Ambre Kahan, autrice de la pièce. L’exploration visuelle du champ horrifique, rare au théâtre et si difficile, est ici réussie, mais, in fine, le thriller pour enfants (dès 8 ans) reste bien brumeux, à l’image de ce si beau monstre blanc errant aux yeux rouges qui rode, mais ne trouve pas sa place dans le dispositif narratif alambiqué.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Santa Park
Conception Ambre Kahan
Avec Hicham Boutahar, George Cizeron, Élise Martin, Tristan Rothhut
Dramaturgie Tristan Rothhut
Assistanat à la mise en scène Romain Tamisier
Collaboration visuelle Louise Digard
Lumière Léa Maris
Création musicale et son Orane Duclos
Construction et conception du décor Jean-Luc Malavasi
Peinture Marine Antoine
Masques et marionnettes Louise Digard, avec le soutien de l’atelier costume des Célestins
Stagiaire costumes et technique Naïma Valiente
Régie générale Jean‑Luc Malavasi
Régie lumière Gaëlle Courcier, Anthony LampinProduction déléguée Compagnie Get Out
Coproduction Les Célestins – Théâtre de Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon, Théâtre de Nîmes – Scène conventionnée, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse-Occitanie
Accueil en résidence de création ThéâtredelaCité – CDN Toulouse‑Occitanie, Théâtre de la Croix-Rousse, Les Célestins – Théâtre de Lyon
Avec le soutien de la Ville de Lyon, de la Région Auvergne‑Rhône‑Alpes, de l’ADAMILa compagnie est conventionnée par la DRAC Auvergne‑Rhône‑Alpes. Ambre Kahan / Compagnie Get Out est artiste associée aux Célestins.
Durée : 1h20
À partir de 8 ansLes Célestins, Théâtre de Lyon
du 16 au 26 décembre 2025Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
du 8 au 10 janvier 2026La Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
du 21 au 23 janvierThéâtre de Nîmes
du 27 au 28 janvierThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie
du 4 au 6 févrierThéâtre de la Ville, Paris
du 12 au 15 mars



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