L’artiste sud-africain emplit le fameux mythe biblique avec les maux violents d’hier et d’aujourd’hui. Un rituel dopé aux beats électroniques qui, s’il est impressionnant d’engagement scénique, relègue le texte au second plan.
Dans l’esprit des spectateurs hexagonaux, le nom de Brett Bailey est désormais associé au mot « polémique ». Lors de son dernier passage au Festival d’Avignon, en 2013, le metteur en scène et plasticien sud-africain avait décoiffé plus d’un festivalier avec son exposition vivante, Exhibit B. Une fois arrivée au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, puis au Centquatre-Paris, ce spectacle avait généré une large controverse. Conçue comme une critique de la période coloniale, cette série de tableaux-performances, qui s’inscrivait dans la logique des « zoos humains », avait provoqué l’ire, y compris judiciaire, de plusieurs associations qui lui reprochaient de reproduire le racisme de l’époque – alors que tout se jouait, au contraire, dans les échanges de regards, souvent insoutenables, entre comédiens derrière les barreaux et public condamné à les regarder. Que chacun se rassure, ou non, sa nouvelle production, Samson, donnée à l’occasion du 75e Festival d’Avignon, n’engendrera aucune nouvelle escarmouche de ce genre.
Bien plus qu’une adaptation stricto sensu, la proposition de Brett Bailey est une variation autour du fameux mythe biblique, réenvisagé à travers les maux violents des XXe et XXI siècles. En se juchant sur les épaules du « Fils du Soleil », promis au grand destin de libérateur de son peuple sous le joug des Philistins, l’artiste sud-africain joue, en réalité, la carte de la transposition. Il veut faire entrer cet ancien récit en collision avec les sauvageries et les oppressions contemporaines, celles liées à la colonisation, bien sûr, mais aussi aux migrations, au sectarisme et aux conséquences néfastes d’un capitalisme par trop débridé. Sous sa houlette, Samson dépasse son statut de figure archétypale et antédiluvienne pour devenir le symbole, le héros furieux, mais également le martyr humilié, de ces peuples qui, hier comme aujourd’hui, ont été, et sont encore, asservis d’une façon plus ou moins larvée.
De cette vaste ambition, naît une composition scénique hautement singulière, à nulle autre pareille, pourrait-on affirmer, sur une scène française. Mu par sa fascination pour le chamanisme, Brett Bailey orchestre un authentique rituel, de ceux qui impressionnent par leur cérémonial même. Car il ne s’agit pas pour la troupe de comédiens de jouer, de décalquer, voire de singer, mais bien de vivre pleinement, et avec une intensité propre aux expériences non-rationnelles, cette transe possédée. Au coeur de son dispositif, l’artiste a d’ailleurs choisi de placer Elvis Sibeko, sangoma de son état, capable, selon le metteur en scène, avec ses pouvoirs de guérisseur, de « convoquer les esprits des anciens », et notamment celui d’un « puissant chef », qui, cinq générations avec lui, « avait été assassiné par une ethnie ennemie ». Si elle met au défi tout esprit cartésien, cette affirmation se vérifie à l’épreuve des planches tant l’homme paraît physiquement omniprésent, mais psychiquement absent, comme traversé par une puissance qui le domine et lui confère la force nécessaire pour tenir la représentation sur ses épaules.
A ses côtés, l’ensemble de la distribution s’impose en soutien et comme source d’une énergie hors norme. Pour eux, l’élan théâtral est un élan vital, et leur engagement de chaque instant est impressionnant à observer. Grâce à la composition enivrante de Shane Cooper, jouée en live et dopée aux beats électroniques, la performance se transforme en show sous emprise, et génère quelques beaux moments, comme cette reprise du célébrissime « Mon coeur s’ouvre à ta voix », extrait de Samson et Dalila. Pour autant, la médaille de cette transe théâtrale n’est pas exempte de revers et le tour de force physique relègue malheureusement au second plan le propos, pourtant fort sur le papier, de Brett Bailey. Au-delà du côté somme toute largement répétitif du langage chorégraphique et du travail vidéo de Kirsti Cumming, que l’on aurait aimé moins illustratif et didactique, le texte de l’artiste sud-africain peine à émerger, à traverser le mur du show, jusqu’à devenir, dans les dernières encablures, presque dispensable.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Samson
Texte et mise en scène Brett Bailey
Avec Shane Cooper, Mikhaela Kruger, Mvakalisi Madotyeni, Zimbi Makwethu, Marlo Minnaar, Hlengiwe Mkhwanazi, Apollo Ntshoko, Elvis Sibeko, Jonno Sweetman, Abey Xakwe
Musique Shane Cooper
Chorégraphie Elvis Sibeko
Scénographie Brett Bailey, Tanya P. Johnson
Vidéo Kirsti Cumming
Lumière Kobus Rossouw
Son Marcel BezuidenhoutProduction Third World Bunfight
Avec le soutien de National Lottery Commission (Afrique du Sud), Institut français d’Afrique du Sud, Onda – Office national de diffusion artistique
Aide à la reprise Festival d’Avignon, Grec Festival de BarceloneDurée : 1h40
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