« AYOBA ! » Ce cri n’est pas un cri de guerre, mais bien de ralliement que les membres de cette compagnie de rue, qui mixe gumboot – un style de percussions corporelles sur bottes en caoutchouc – et danse contemporaine, lancent en préambule pour chauffer le dancefloor, rassembler et parler à toutes et tous, sans distinction et sans barrage de langue. Intergénérationnel, accessible et puissant, Salut distribue ses bonnes ondes et ses rythmes communicatifs au plus près du public du Festival Et 20 l’Été.
Il a démarré jeudi 19 juin et se poursuit durant tout le week-end à l’heure où les festivals de rue fleurissent, fin de saison et beau temps oblige ! Le Festival Et 20 l’Été peut se targuer d’avoir une programmation qui fait rêver. Au menu, performance, danse, cirque, théâtre, déambulation participative et installation sonore dans l’espace public viennent dynamiser le quotidien, rassembler en convivialité et infuser la création dans la cité. C’est dans le XXe arrondissement de Paris que ce festival annuel essaime ses spectacles, gratuits, accessibles à toutes et tous, au coin des rues, sur des places ou dans des jardins. Portée depuis cette année par la Khta Compagnie, la direction artistique fait vœu de pluralité des esthétiques, d’embrasser tous les sujets, d’une représentativité inclusive et diversifiée. Une douzaine de troupes sont invitées à se produire, en journée ou en soirée, dans des espaces et des dispositifs variés. On note la présence du collectif Les Aimants (Appartement témoin), de la compagnie Nevoa pour Sillages (récemment présenté hors-les-murs au Théâtre Silvia Monfort), de la compagnie Kynlaus avec Viriles, de la compagnie Presque Siamoises avec Carry-On ou encore de la compagnie Décor sonore qui musicalise la ville, invitée à titre expérimental à présenter Chiche !
C’est dans ce foisonnement enthousiasmant que l’on a pu découvrir le travail physique et chorégraphique de la compagnie Ayoba, au coeur du Square des Amandiers. Chaleur tenace compensée par une buvette de sirop de grenadine à volonté, ambiance électrique de fin de journée de presque été, le public était largement au rendez-vous et même les passants hasardeux se sont laissés embarquer par la proposition. À deux pas de là, le Conservatoire du XXe donnait sa représentation de fin d’année pour les élèves des cours de danse, quelques musiciens d’une classe de jazz égayaient un amphithéâtre de verdure en entrée libre, sans qu’aucun groupe n’empiète ou ne perturbe l’autre. Une utopie à ciel ouvert. Le quartier entier semblait vibrer à l’unisson, et voir se presser un public intergénérationnel, de toutes origines, mixte, familial, amical, résonnait tout particulièrement par les temps qui courent. D’autant plus que le public, la Compagnie Ayoba s’y attèle à bras-le-corps dans un dispositif scénique et un geste dramaturgique qui lui donnent une place centrale. Non seulement de par sa répartition dans l’espace, présence forte et proche en hémicycle, mais aussi dans les allées et venues des interprètes, dans et au dehors du dancefloor, dans une dynamique enveloppante et conviviale. Enfin, dans les jeux de regard, les mouvements en miroir, une façon simple et directe de nous considérer.
La compagnie Ayoba travaille à la frontière entre la danse contemporaine, le hip-hop, le chant, les percussions corporelles… et le gumboot. Le site de la compagnie explique aux néophytes ce qu’est le gumboot : « Cette danse percussive originaire des mines d’Afrique du Sud est pratiquée à l’aide de bottes en caoutchouc. Développé par les travailleurs dans les townships, cet art est un langage collectif, contestataire et populaire ». À la tête de la compagnie créée en 2019, Pauline de Lattre, fascinée par la découverte de cette pratique lors d’un voyage sur le continent africain, elle-même danseuse de formation, a développé depuis un langage chorégraphique et rythmique qui lui est propre, imprégné par cette discipline qui fait du corps un instrument musical vivant. D’abord en baskets, les six interprètes chausseront leurs bottes au cours de la représentation qui monte petit à petit en puissance et se clôt en apothéose.
C’est par une marche cadencée doublée d’un chant choral et rythmique a capella que l’on entre dans la danse. Les danseurs et danseuses se rejoignent au centre, et installent ce qui sera leur fer de lance : un corps organique et musical, une pluralité d’individus qui avancent ensemble, font souffle commun et communauté dansée. Sur le côté, la DJ donne le tempo, tantôt chante au micro, tantôt rejoint le groupe dans l’arène, mobile, intégrée. À l’image de leur recherche sur l’écoute et la connexion sensible aux autres. S’inspirant des nuées d’oiseaux qui migrent et se repèrent sans chef apparent, cherchant une dynamique collective autant qu’un dialogue qui passe par d’autres biais que le langage des mots, les membres d’Ayoba s’expriment à coups de claquements de doigts et de percussions corporelles, tout en embrassant l’espace avec ferveur, en long en large et en travers.
Courses dansées, sauts, portés, accélérations et ralentis, en ligne ou massés, en groupe ou éclatés aux quatre coins du cercle, leur assise technique est aussi solide que leur générosité transpire et leur désir de partager. Et lorsqu’entre en jeu une poignée d’amateur·ices botté·es qui les rejoignent dans la danse, l’émotion monte d’un cran tant l’on appréhende alors concrètement leur capacité à transmettre et intégrer des éléments extérieurs à leur propre formation. L’assimilation éphémère des nouveaux venus prouve la sincérité de leur démarche et le pouvoir du rythme fait le reste, car le spectacle rebondit spontanément après les applaudissements en bal général. Avec Salut, la compagnie Ayoba déploie un langage universel qui parle à toutes et tous et orchestre une chorégraphie collective qui rend grâce au potentiel musical de nos corps. Il ne s’agit pas là de s’approprier une pratique étrangère, mais bien de l’hybrider avec diverses approches de la danse, d’en faire un terreau créatif, une base d’exploration pour sortir des corps la musique qui s’y niche. Et par là même, faire connaître le gumboot en dehors des frontières et du contexte qui l’ont vu naître.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Salut
Conception Compagnie Ayoba
Avec Lise Belperron, Marie Cannas, Elodie Carreau, Pauline de Lattre, Caroline Mercier, Malide Sidi Mari, et Ameth SissokhoSoutien Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, la Région Ile-de-France, l’Adami, l’Espace Périphérique (Ville de Paris – Parc de la Villette), la Ville de Pontoise, la Préfecture du Val d’Oise – Quartiers d’été – l’APES / ERIGERE – le CND Centre National de la Danse – le Festival Onze Bouge – Sauvegarde 95 – CAUE ( Conseil d’architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) – le Nouveau Gare au Théâtre – la SPEDIDAM
Vu en juin 2025 au Square des Amandiers, Paris, dans le cadre du Festival Et 20 l’Été
En tournée durant la saison 2025-2026
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