Poétique et sensoriel « Pelléas et Mélisande »
À l’Opéra Bastille, le metteur en scène Wajdi Mouawad signe une nouvelle production du chef-d’œuvre symboliste de Debussy en déployant des images qui célèbrent la nature et exaltent les sensations.
Après avoir monté le rare Œdipe de Georges Enesco en 2021 à l’Opéra Bastille, Wajdi Mouawad se saisit de Pelléas et Mélisande de Debussy. Et, contrairement aux nombreuses mises en scène récentes de l’ouvrage, il ne cherche pas à évacuer l’univers du conte. Il renoue avec, sans naïveté, montrant ce que le livret tiré de la pièce de Maurice Maeterlinck a d’enchanteur comme d’horrifique. Toute une gamme d’images et de sensations, déjà largement suggérées dans la partition d’une plénitude exaltante, se trouvent exacerbées par la poésie du travail scénique, et notamment par l’usage de la vidéo, suffisamment élégante et signifiante pour captiver. Le drame se noue dans un dispositif à la fois simple et sophistiqué. Un rideau servant de surface de projection évoque un espace-frontière. Ses mailles verticales s’apparentent aux longs cheveux de Mélisande, dans lesquels Pelléas s’enroule passionnément et finit par s’emprisonner lors de la scène de la tour. Sur une estrade mobile, les protagonistes vont s’unir, puis mourir. Sensible à l’alchimie totale de la note et du mot dans la forme ambitionnée par le compositeur, Wajdi Mouawad choisit comme rarement d’insérer le texte à la scénographie. La lecture qui s’adjoint à l’écoute renforce la force poétique et l’intelligibilité sensible de l’œuvre.
Pour succéder à la vision de Bob Wilson, restée au répertoire de l’Opéra de Paris pendant presque trente ans et pensée comme un lumineux nocturne tout en tonalités bleu glacé, celle de Wajdi Mouawad se veut moins immatérielle, sans pour autant céder à un traitement naturaliste et psychologique de l’œuvre. À travers des vues imprenables de vallées brumeuses et boisées, de cascades d’eau déferlantes sur d’abrupts rochers, de forêt initiatique et de mer étale, le metteur en scène installe une atmosphère qui rend délicatement compte de la communion entre une nature transcendante et les personnages qui l’habitent. Les amants maudits évoluent dans des paysages sylvestres et aquatiques jusqu’à fusionner avec les éléments. Mélisande apparaît sous un tapis de feuillage comme un petit animal terré, avant de flotter dans les profondeurs d’une onde limpide symbolisant sans doute un au-delà purifié. Cela fait nécessairement écho au film imaginé par l’Américain Bill Viola pour Tristan et Isolde, montré de nombreuses fois sur cette même scène de l’Opéra Bastille. Trois inquiétantes silhouettes bourrues en vêtements sales et tachés de sang font ressentir l’hostilité qui contraste avec l’écrin idyllique. La déambulation d’un sanglier, transpercé d’une flèche lors de la scène de chasse qui inaugure la représentation, annonce l’entassement plus tardif de nombreuses dépouilles animales éviscérées. Cette crudité mortifère amalgamée au somptueux lyrisme onirique et élégiaque forme une étrange, mais palpable beauté.
De la musique de Debussy, on aime entendre les couleurs et textures aussi bien pulpeuses et sensuelles que névrotiques et morbides. Dès l’introduction, et jusqu’à ses grandes envolées, le chef Antonello Manacorda opte davantage pour le calme extatique d’une lecture plane et paisible, volontiers impressionniste, que pour le bouillonnement fiévreux et tourmenté. La beauté hédoniste du son prime sur la tension du drame, mais, à l’instar des images vidéo, l’orchestre, auquel est conféré un rôle narratif, produit un merveilleux effet d’envoûtement. Les rôles-titres méritent bien des louanges. Le jeune baryton anglais Huw Montague Rendall retrouve Pelléas et livre une belle interprétation, peut-être un peu moins solaire et fougueuse qu’au festival d’Aix-en-Provence l’été dernier, mais toujours impeccablement juvénile et spleenétique, ce qui est parfait pour le personnage. La soprano Sabine Devieilhe est une Mélisande légère, mais d’une grande justesse, infiniment délicate, évanescente avec quand même un petit côté sauvage. Le Golaud de Gordon Binter est inhabituellement jeune et lumineux. Sans doute la voix manque-t-elle de noirceur et de mordant pour exprimer la violence qui le torture. Les solistes montrent une aisance idoine à rendre justice à la limpidité de l’écriture vocale et à la clarté de la prosodie. On trouve une certaine froideur d’âme à l’Arkel de Jean Teitgen, peu émouvant, mais d’une grande solidité vocale, indéniable qualité que ne possède plus Sophie Koch en Geneviève très incertaine. Amin Ahangaran campe, quant à lui, un médecin irréprochable.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pelléas et Mélisande
Drame lyrique en cinq actes et douze tableaux
Musique Claude Debussy
Livret Maurice Maeterlinck
Direction musicale Antonello Manacorda
Mise en scène Wajdi Mouawad
Avec Sabine Devieilhe, Huw Montague Rendall, Gordon Bintner, Jean Teitgen, Sophie Koch, Amin Ahangaran
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Chef des Chœurs Alessandro Di Stefano
Décors Emmanuel Clolus
Costumes Emmanuelle Thomas
Maquillage, coiffures Cécile Kretschmar
Lumières Éric Champoux
Vidéo Stéphanie Jasmin
Dramaturgie Charlotte FarcetDurée : 3h20 (entracte compris)
Opéra Bastille, Paris
du 28 février au 27 mars 2025
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