Mis en scène dans un esprit follement festif et subversif, Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Poulenc se présentent comme l’envers et l’endroit d’une même pièce entre plateau et coulisses de cabaret. Ce diptyque profite d’une distribution éclatante.
C’est un programme inédit et fort réussi que propose le Théâtre des Champs-Elysées en donnant à la suite dans la même soirée Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Poulenc mis en scène par Olivier Py et dirigés par François-Xavier Roth. Créées au cours de la première moitié du XXe siècle par deux jeunes compositeurs qui se sont beaucoup côtoyés et admirés, les deux pièces sont musicalement et stylistiquement très différentes. La première, inspirée d’un conte fantastique d’Andersen, déploie un envoutant camaïeu de couleurs entre onirisme et exotisme, tandis que la seconde s’apparente davantage à une fable surréaliste de tonalité bouffe et qui fourmille d’insolites facéties. Il fallait toute la malice et l’habileté d’un artiste comme Olivier Py pour rassembler ces deux ouvrages de manière unifiée. Avec le goût inépuisable du spectacle qui le caractérise, il adopte une formidable stratégie scénique qui consiste à placer les deux ouvrages dans un même lieu, un cabaret nommé le Zanzibar en clin d’œil à Poulenc. Olivier Py n’a plus à prouver ses affinités avec ce compositeur dont il a désormais monté l’intégralité de l’œuvre : Un dialogue des carmélites sobre et bouleversant, une Voix humaine prolongée d’un délire fantasmatique écrit de sa plume (Point d’orgue), et enfin ces explosives Mamelles de Tirésias. Le décor astucieusement réversible de Pierre-André Weitz permet de suivre la représentation du côté scène où, en pleine lumière, devant un rideau rouge pailleté et sur un grand escalier de music-hall, s’illustre une ribambelle de boys largement dénudés et déhanchés, entres autres dame à panier et femme à barbe, numéros de travestis, lâchers de ballons (aux formes généreusement mammaires) et de confettis. A l’inverse, Le Rossignol qui ouvre la soirée se joue dans l’exiguïté des coulisses où artistes et techniciens débordent d’activités.
Ovni musical et théâtral, Les Mamelles de Tirésias est d’abord une pièce écrite par Apollinaire qui fait la chronique d’une société en mal de nouveau-nés à l’issue de la guerre. Son but est « de réformer les mœurs » annonce le génial Monsieur Loyal de Laurent Naouri, meneur du spectacle donné au Zanzibar. On y chante les appas féminins et le changement de sexe. Le public est exhorté à s’aimer et à enfanter. De manière très fantaisiste et enlevée, Olivier Py distille un plaisir évident du jeu et de la transgression. Il fait preuve d’un inénarrable humour, scabreux à souhait.
Triomphatrice de la soirée, Sabine Devieilhe, chevelure rousse et tenues écarlates, fait un Rossignol superbe de virtuosité et de vivacité dont tous tombent en pâmoison, à commencer par le pêcheur mélancolique de Cyrille Dubois au chant si clair et délicat. La soprano déploie chez Stravinsky des vocalises aériennes et des aigus célestes qui invitent à la rêverie puis campe dans Poulenc une Thérèse pleine d’abatage qui révèle une drôlerie qu’on lui connaît moins et qui lui va très bien. C’est toute la distribution qui doit être félicitée pour les prouesses vocales et l’engagement total de chacun des interprètes. Corps et voix surchauffés, sens du comique inné, Jean-Sébastien Bou joue en contrepoint un empereur sombre et moribond puis un frétillant mari vaudevillesque.
A la tête de son ensemble Les Siècles, François-Xavier Roth se fait aussi un acteur de premier plan dans la réussite du spectacle tant sa direction démontre un sens inouï du théâtre. L’orchestre inonde de beauté le féérique chant du Rossignol dont le miroitement sonore, les teintes nocturnes et lunaires, la pointe de sensualité, s’offrent comme une belle réminiscence du récent Pelléas et Mélisande donné en salle et au disque. Dans un style plus nettement débridé, l’orchestre se repait avec gourmandise de la franche folie de Poulenc. A l’image de l’empereur chinois, le public est revigoré et ragaillardi.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Poulenc
François-Xavier Roth | direction
Olivier Py | mise en scène
Pierre-André Weitz | décors et costumes
Bertrand Killy | lumièresLes Siècles
Ensemble Aedes | direction Mathieu RomanoLe Rossignol
Sabine Devieilhe | Le Rossignol
Cyrille Dubois | Le Pêcheur / 1er émissaire japonais
Chantal Santon Jeffery | La Cuisinière
Laurent Naouri | Le Chambellan
Victor Sicard | Le Bonze
Rodolphe Briand | 3e émissaire japonais
Francesco Salvadori | Un émissaire japonais
Jean-Sébastien Bou | L’Empereur de Chine
Lucile Richardot | La MortLes Mamelles de Tirésias
Sabine Devieilhe | Thérèse-Tirésias / La Cartomancienne
Laurent Naouri | Le Directeur de théâtre
Jean-Sébastien Bou | Le mari de Thérèse
Victor Sicard | Le Gendarme
Cyrille Dubois | Le Journaliste parisien / Monsieur Lacouf
Rodolphe Briand | Le Fils / Une grosse dame
Chantal Santon Jeffery | Une dame élégante
Lucile Richardot | La Marchande de journaux
Francesco Salvadori | Monsieur PrestoOpéras chantés en français, surtitrés en français et en anglais
NOUVELLE PRODUCTION
Coproduction Théâtre des Champs-Elysées / Opéra Nice Côte d’Azur
En partenariat avec France TV et Le FigaroAvec le soutien d’Aline Foriel-Destezet, mécène principale des opéras mis en scène au Théâtre des Champs-Elysées
Durée : 45mn – Entracte (25mn) – 55m
Théâtre des Champs-Elysées
du 10 au 19 mars 2023
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