
Ariodante Photo Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Robert Carsen revient au Palais Garnier et en terre haendélienne. Jouant avec les anachronismes, il signe une nouvelle production d’Ariodante dont l’intrigue royale fait écho sans trop forcer à l’actualité des Windsor.
Plus de vingt ans après avoir succombé aux pouvoirs ensorceleurs d’Alcina, le metteur en scène canadien s’attaque à Ariodante, sa pièce « jumelle », créée la même année 1735 au Covent Garden de Londres. Les deux ouvrages présentent comme source d’inspiration commune l’Orlando furioso de l’Arioste et regorgent d’intrigues sentimentales à la fois cruelles et enjôleuses. Passant de l’amour à la haine, du combat à la paix, ceux-ci se transposent aisément, et ce grâce à l’indéniable savoir-faire de Robert Carsen, dans la vie trépidante d’une cour à scandales d’aujourd’hui où un jeune couple princier est promis au mariage qu’un terrible stratagème vise à empêcher. Dans un dédale de pièces (chambres à coucher, galerie d’armes, bureau, jardinet) appartenant à un luxueux château inspiré de Balmoral en Écosse, se trament les destins politiques et amoureux d’importants personnages sous les regards traqueurs de cerfs empaillés et de journalistes insistants.
Tout est très chic dans cet écrin vert-émeraude où défile une abondante domesticité et danse une bardée de convives en traditionnels kilts et précieuses robes de bal. Ce folklore d’apparat se conjugue à l’esthétique glam des unes de magazines amatrices des frasques des têtes couronnées. La qualité des scènes intimistes comme des tableaux choraux ne fait jamais défaut tant la mise en scène, agrémentée de ballets, présente des images à la fois soignées et animées. Mais la portée satirique attendue mériterait d’être un peu plus débridée. Certes, en grattant le vernis aristocratique de façade, on trouve bien de légers traits d’humour et une fine ironie qui pourraient s’offrir mois discrètement et tardivement. Sur scène, comme en fosse, où l’English Concert sonne fort élégamment malgré une direction de Harry Bicket qui frôle le flegmatisme, il manque de l’allant, du piquant, du palpitant, pour extraire le spectacle de trop d’uniformité et de conformité.
Malgré la longueur de la représentation, la somme d’arias hypervocalisants passe comme un charme tant la distribution réunie tient toutes ses promesses. Dans le rôle-titre écrit à l’origine pour un castrat, Emily D’Angelo régale d’une voix et d’une présence absolument magnétiques. Sa confondante androgynie, la maîtrise totale et le naturel évident de son chant, éblouissent et émeuvent. Noblesse, netteté, passion, folle agilité et superbes couleurs mordorées font de son Ariodante un bonheur musical qui manque juste parfois d’un tout petit peu de volume. Chanté au sol comme lové dans l’étoffe de son amante, son « Scherza infida » est un lamento tragiquement beau où s’amalgament désespoir, délicatesse et intensité. C’est donc avec une franche virtuosité, beaucoup de sensibilité, mais sans le moindre excès d’affectation, que le personnage est interprété.
L’angélisme vertueux d’Ariodante s’oppose en tous points à l’indécence du vicieux Polinesso visiblement campé avec délice par Christophe Dumaux qui décidément excelle dans les méchants haendéliens (formidable Tolomeo) pour lesquels il possède tout l’éclat et le mordant vocal. La rivalité entre les deux héros s’exacerbe dans une danse de mort venue hanter en songe l’impossible sommeil de la princesse Ginevra, rôle dans lequel Olga Kulchynska, dotée de moyens somptueux, combine autant de volupté que de dolorisme tandis que Tamara Banjesevic fait une expressive et abrasive Dalinda. A la tête de sa dynastie affolée, Matthew Brook incarne le roi d’Écosse avec une tendresse paternelle non dépourvue d’autorité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Ariodante
Georg Friedrich HaendelDirection musicale
Harry BicketChef des Chœurs
Alessandro Di StefanoMise en scène
Robert CarsenDécors et lumières
Robert CarsenDécors et costumes
Luis F. CarvalhoLumières
Peter Van PraetChorégraphie
Nicolas PaulAvec
Il Re di Scozia
Matthew BrookGinevra
Olga KulchynskaAriodante
Emily D’AngeloLurcanio
Eric FerringPolinesso
Christophe DumauxDalinda
Tamara BanjesevicOdoardo
Enrico CasariThe English Concert
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Metropolitan Opera, New-YorkAriodante fait l’objet d’une captation produite par l’Opéra national de Paris, avec le soutien de la Fondation Orange, mécène des retransmissions audiovisuelles de l’Opéra national de Paris, et sera retransmis en direct le 11 mai 2023 sur la plateforme de l’Opéra « L’Opéra chez soi ».
Diffusion ultérieure sur France Musique à 20h dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.
3h55 avec 2 entractes
Palais Garnier
du 20 avril au 20 mai 2023
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