Jean Bechetoille met en scène au Théâtre de la Tempête une fiction d’anticipation en s’inspirant de sa vie et celle de ses comédiens. Inégal, son spectacle est d’une singularité remarquable.
« Le monde d’après », souvenez-vous. Lors du premier confinement, en mars 2020, l’expression avait fleuri un peu partout dans les médias pour désigner la société post-pandémique qu’il nous incombait d’inventer ; une société que chacun désirait plus juste, plus écologique et plus fraternelle. Chacun y croyait… Ou plutôt, chacun faisait mine d’y croire. Au regard des événements qui suivirent (en vrac : les 12 134 confinements à venir, la candidature d’Eric Zemmour et la guerre en Ukraine), nous étions tous bien naïfs. Tous, sauf un : Jean Bechetoille. Il est auteur et metteur en scène. Au printemps 2020, déjà, ce jeune homme de 36 ans écrivait une pièce intitulée Rest and Watch d’un pessimisme étonnant préfigurant sûrement avec davantage d’acuité le « monde d’après » que les pieuses projections médiatiques de 2020.
L’histoire se déroule entre 2020 et 2055. Il y a six personnages. Un premier couple, formé par Jean et Hélène, qui ont un enfant au début de la pandémie, Aliocha. Et un deuxième couple, composé de Guillaume et Jacinthe, qui deviennent les parents d’un petit Serge, trois semaines plus tard. Ils sont amis, rattrapés par la tragédie. Quinze jours après la naissance de son fils, Guillaume meurt dans un accident de voiture. Jacinthe se réfugie avec son nourrisson chez Jean et Hélène à la maison de campagne. Ensemble, ils font le choix de vivre reclus en Bourgogne, refusant de participer à la déliquescence de la planète, arrêtant de travailler et se contentent de ramasser des noix. En 2039, une sécheresse décime une partie de l’humanité. L’autre devient stérile. Autour de la microcommunauté formée par les protagonistes, il ne reste plus que quelques faisans, des hérissons et une quiétude idyllique. Serge et Aliocha ont 18 ans. Ils se cherchent. Tandis qu’autour d’eux doucement, la nature reprend ses droits.
C’est un spectacle imparfait et inégal, mais d’une singularité remarquable. La tonalité déroute ; le texte a beau être joué avec une dérision réjouissante, à la lisière de la farce, le tragique y est omniprésent (avec la mort de Guillaume et à la toute fin de la pièce, que nous ne dévoilerons pas). Les trouvailles scéniques sont nombreuses ; le plateau est quasiment nu, mais figure merveilleusement l’éden bourguignon où règne une sensualité lascive. La vidéo est utilisée de façon pertinente ; tout au long du spectacle, le spectre de Guillaume apparaît à l’écran et dialogue avec les personnages. Dans Vie et mort d’un chien (traduit du danois par Niels Nielsen), Jean Bechetoille mettait en scène la mort de son frère en s’inspirant de son histoire personnelle. Cette fois, tous les acteurs incarnent leur propre rôle (hormis Philippe Le Gall qui joue le metteur en scène). Comme dans la pièce, ils eurent leurs enfants en même temps, vécurent le confinement en Bourgogne, imaginèrent comment exister autrement… Sur le plateau, cette expérience partagée se sent. Les quatre comédiens ne jouent pas de la même manière, mais l’alchimie est palpable.
La deuxième partie du spectacle est un peu moins convaincante. À force de cumuler les sujets – la fin du monde, le rapport à la mort, la famille recomposée, la culpabilité, l’inceste, l’adultère, l’utopie, la représentation théâtrale… -, Jean Bechetoille perd le fil de son récit. L’ennui ne pointe jamais, mais la confusion règne. On ne sait pas toujours où l’auteur veut en venir. L’émotion se dilue à cause de ces mises en abîme permanentes entre le réel et la fiction. Et le mélange des genres finit par lasser. C’est dommage car tous les éléments étaient réunis pour créer un excellent spectacle. Que voulez-vous, le talent de Jean Bechetoille et ses comédiens nous rendent exigeants.
Igor Hansen-Love – www.sceneweb.fr
Rest and Watch de Jean Bechetoille
Musique Guillaume Bosson
Avec Thomas Bleton, Jacinthe Cappello, Guarani Feitosa, Philippe Le Gall et Hélène Marchand
Scénographie Caroline Frachet
Lumière Vera Martins
Vidéo Adrien Selbert
Production Compagnie du 1er Août
Coproduction La Maison du Théâtre d’Amiens
Avec le soutien du Théâtre de la Tempête / du Théâtre d’Auxerre, Scène conventionnée d’intérêt national
Théâtre de la Tempête
du 10 au 27 mars 2022
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !