Avec Requiem(s) et son pluriel potentiel, Angelin Preljocaj plonge à corps éploré dans les soubresauts qu’engendre la perte d’êtres chers. Il explore les différentes couleurs des rites du deuil et propose sa propre variation autour d’un motif aussi intime qu’universel. Traversé de grands mouvements d’ensemble, le spectacle est porté avec virtuosité par dix-neuf danseur.ses admirables.
On ne présente plus Angelin Preljocaj, familier des plus grandes scènes de France, d’Europe et du monde avec ses ballets contemporains d’envergure portés par une pluralité de danseurs et danseuses, déclinant un langage chorégraphique qui n’appartient qu’à lui. Avec Requiem(s), sa dernière création, Angelin Preljocaj s’attaque à une forme à la fois mythique et religieuse, issue de la tradition musicale classique. Le mot requiem vient du latin requies qui signifie repos et les compositions qui relèvent de cette appellation sont destinées à celles et ceux que le repos éternel a emporté. A l’origine messe pour les morts interprétée lors des célébrations liturgiques et funérailles, le requiem est devenu un genre en soi qui s’est répandu au-delà du cadre de l’Eglise et écrème désormais les salles de concert. Angelin Preljocaj s’en empare et fait du deuil le socle de ce spectacle d’une ambition folle et d’une beauté à couper le souffle.
En une succession de tableaux entre gravité terrestre et transcendance, il aborde aux rives de la douleur de la perte et sa danse célèbre dans le même mouvement la vie qui continue, son cycle perpétuel et la possibilité de se consoler par le contact et le toucher. Il dit la force des rites et leur diversité. Imprégnés d’iconographie religieuse et d’Histoire de l’art, les corps réveillent des images intemporelles et gravées dans le marbre des statues et toiles d’antan. Piétas, descentes de croix, les porteurs deviennent madones, les bras s’ouvrent en croix et les pleureuses courbent l’échine sous le poids du chagrin. On retrouve des figures évoquant lointainement son chef d’œuvre des années 90, Annonciation, entré au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris, face à face entre Marie et l’ange Gabriel qui prenait la forme d’un duo féminin radieux. On retrouve cette absolue précision dans l’écriture chorégraphique, la netteté de la gestuelle et des compositions, on retrouve la dimension graphique de son langage et sa façon de se déployer dans l’espace.
Jambes fuseaux, bras arqués, sauts ciselés et portés tout en grâce, le spectacle déploie ces variations sur le motif mortuaire et les cérémonies associées. Sans être un catalogue sociologique, il extrait la moelle de nos rites, de ce berceau civilisationnel constitutif de notre humanité, et tisse, page à page, sur le grand plateau, une scène après l’autre, en une dynamique qui parfois faiblit mais toujours jaillit à nouveau dans les danses chorales impressionnantes. Enterrer nos morts et les fêter. Le deuil s’éprouve en plusieurs étapes sur un temps long et c’est aussi ces méandres et cette temporalité que le spectacle égraine. La bande son participe de ces différents états et l’on passe avec évidence de chants sacrés, polyphonies somptueuses de voix féminines, à des extraits du fameux Requiem de Mozart, référence des références, quand ce n’est pas le grand écart total avec ces effractions de rock métal fracassantes qui semblent littéralement propulser le ballet, raviver l’ardeur des danseur.ses et exorciser la douleur. Comme le Dies Irae, passage obligé du genre, le deuil est aussi fait de colère et d’éclats.
Ainsi Requiem(s) – avec son pluriel potentiel émis dans son titre – déroule ses humeurs, les corps ploient ou s’élèvent, rampent pour mieux se relever, vaillants ou inanimés, fendent l’espace dans des courses effrénées ou s’agglutinent pour ne faire qu’une masse à mille membres. Costumes (superbe réalisation d’Eleonora Peronetti) et lumières (sublime création d’Eric Soyer) participent de la splendeur de l’ensemble, habillent les danseurs.es de leur aura douce ou tranchante, voire stroboscopique. L’émerveillement est total et la vidéo qui s’invite en pointillé sur la largeur du fond de scène offre une perspective visuelle à ce qui se joue en chair et en os au plateau. Forêt de conte, visage éploré de femme en mantille noire, paumes de mains laissant filer du sable entre les doigts, les images réussissent à ne jamais virer au cliché mais à s’immiscer en touches évocatrices qui conduisent notre réception et compréhension des enjeux à l’œuvre dans cette création.
A l’image des vanités du Moyen-Âge, Requiem(s) nous rappelle que notre temps terrestre est compté, que la vie est brève et qu’en attendant que les aiguilles de l’horloge s’arrêtent définitivement, autant cueillir le jour et sa lumière changeante, goûter la beauté de nos corps en harmonie, entrelacés dans une même et scintillante chorégraphie.
REQUIEM(S)
Création 2024
Pièce pour 19 danseurs
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Musique en cours
Lumières Éric Soyer
Costumes Eleonora Peronetti
Vidéo Nicolas Clauss
Scénographie Adrien Chalgard
Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
Assistante répétitrice Cécile Médour
Choréologue Dany Lévêque
Danseurs Lucile Boulay, Elliot Bussinet, Araceli Caro Regalon, Leonardo Cremaschi, Lucia Deville, Isabel García López, Mar Gómez Ballester, Paul-David Gonto, Béatrice La Fata, Tommaso Marchignoli, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Ygraine Miller-Zahnke, Max Pelillo, Agathe Peluso, Romain Renaud, Mireia Reyes Valenciano, Redi Shtylla, Micol TaianaProduction Ballet Preljocaj
Coproduction La Villette – Paris, Chaillot – Théâtre National de la danse,
Festival Montpellier Danse 2024, Grand Théâtre de Provence, Vichy Culture-Opéra de Vichy
Le Ballet Preljocaj / Centre Chorégraphique National est subventionné par le Ministère de la culture et de la communication – DRAC PACA, la Région Sud -Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Département des Bouches-du-Rhône, la Métropole Aix-Marseille Provence et la Ville d’Aix-en-Provence. Il bénéficie du soutien du Groupe Partouche – Casino Municipal d’Aix-Thermal et de la Maison de Champagne Piper-Heidsieck, des particuliers et entreprises mécènes ainsi que des partenaires.Durée 1h30
17 et 18 mai 2024
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-ProvenceDu 23 au 6 juin 2024
Grande Halle de La Villette
en coréalisation avec Chaillot, Théâtre National de la Danse, Paris04, 05 et 06 juillet 2024
Le Corum, Festival Montpellier danse 2024, Montpellier12 juillet 2024
Opéra de Vichy04 et 05 octobre 2024
L’Archipel, Perpignan12 octobre 2024
Le Carré, Ste MaximeDu 16 au 19 octobre 2024
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence30 novembre 2024
Cannes, Palais des Festivals04 décembre 2024
Teatro Comunale Pavarotti-Freni, Modena, ItalieDu 18 au 22 décembre 2024
Théâtre de CaenDu 06 au 09 février 2025
Les Gémeaux – Scène nationale de SceauxDu 12 au 19 mars 2025
Opéra Royal du Château de Versailles13 mai 2025
Auditorium, Dijon16 et 17 mai 2025
Équilibre, Fribourg, Suisse
J’y suis venu simplement, sans lecture préalable de quelconques critiques, je suis sorti sous le charme, envouté par ces Requiems, enchaînement d’harmonies, de corps ondulents dans de somptueux mouvements collectifs, subtilement éclairés. Tout est magique, l’immense travail technique et chorégraphique au sol ou dans les airs s’oublie pour laisser place à une pure merveille totalement immersive , un immense coup de cœur, bravo !