Le 13 mars à La Brèche, Pôle National Cirque de Normandie, le Collectif Protocole a entamé son Périple 2021. Une performance itinérante de 6 mois à travers la France, en quête de rencontres, de liens singuliers entre jonglage et territoires.
Pour le Collectif Protocole, un jonglage sans fête, sans échanges, est un jonglage qui ne vaut pas la peine d’être vécu. Depuis dix ans, ce groupe composé de cinq jongleurs et une jongleuse utilise la massue blanche comme un outil de rencontre avec l’espace public et ses habitants. Avec leurs laboratoires de recherche et leurs performances in situ, Paul Cretin-Sombardier, Thomas Dequidt, Sylvain Pascal, Valentina Santori, Pietro Selva Bonino et Johan Swartvagher sillonnent la France dans tous les sens. Avec leur langage improvisé et poétique en évolution permanente, ils s’adaptent aux envies, aux besoins des lieux qui les programment et aux inconnus qu’ils trouvent sur leur route.
Riches des explorations faites avec leur performance Oneshot, qu’ils déclinent depuis 2012 sous des formes diverses en invitant régulièrement des artistes d’autres disciplines, et de leur spectacle Monument (2017) pour lequel ils s’immergent pendant quatre jours dans un village ou un quartier, les membres du collectif ont mis au point une nouvelle aventure : Périple 2021. Elle a démarré le 13 mars à La Brèche, Pôle National Cirque de Normandie, dans le cadre d’une « édition spéciale » du festival SPRING, réservée aux professionnels et journalistes et en partie diffusée en ligne et sur les réseaux sociaux. Malgré ce contexte peu propice à la rencontre et à la célébration, Protocole a su larguer les amarres dans la joie dont il entretiendra la flamme jusqu’à Aurillac où il arrivera au mois d’août, en plein festival.
Errances et cérémonies
« À l’origine, nous nous sommes rassemblés pour nous sentir plus forts, pour avoir moins peur. Aujourd’hui, nous avions envie de nous séparer pour mieux nous retrouver », dit au micro l’un des jongleurs sous le chapiteau de La Brèche, tandis que certains de ses amis construisent trois massues blanches et que d’autres jonglent courant tous azimuts. L’émotion est palpable. Pendant six mois, les six artistes vont mener une quête dont ils savent qu’ils ne ressortiront pas tels qu’ils sont entrés. Parce qu’au cours de leurs 25 étapes, ils auront croisé le chemin de nombreuses personnes. Parce qu’ils auront marché et jonglé avec des invités différents : des artistes d’autres disciplines comme des personnes d’autres professions. « Tout en participant à une quête collective de la poésie cachée, nous menons tous des recherches individuelles à travers nos errances », dit Valentina qui réalisera cinq des étapes de Périple 2021.
C’est d’ailleurs elle qui a ouvert le mouvement en quittant La Brèche avec la journaliste et créatrice sonore Dominique Duthuit, présidente du Collectif Protocole. « Pour commencer, je voulais cheminer avec quelqu’un que je connais, dont j’estime beaucoup le travail mais avec qui je n’avais jamais collaboré. J’avais l’intuition que l’échange pourrait être riche, et je ne me suis pas trompée ! », se réjouit Valentina trois jours après son départ avec les trois massues qui seront les seules à faire l’ensemble du voyage. Car d’une errance à l’autre, des cérémonies permettent la passation des objets d’un jongleur à l’autre. « Ces moments marqueront le tempo de la performance. Ils étaient sensés être publics, mais la situation sanitaire nous en empêche pour le moment, en espérant que les choses s’arrangent au fil des six mois. En attendant, nous réaliserons des vidéos de ces événements, en abordant ce medium comme un langage à part entière, avec ses dynamiques propres », explique Pietro Selva Bonino, qui a choisi de partager son Périple avec une bergère du Parc départemental de La Courneuve, Mélodie, ainsi qu’avec le rappeur italien Tito Sherpa. Deux expériences qui promettent de laisser de belles traces.
Le journal et le territoire
Une plateforme web fait office de journal de bord pour les jongleurs-voyageurs. Ils y déposent ce qu’ils veulent : images, enregistrements, textes… Valentina Santori et Dominique Duthuit ont par exemple réalisé un montage sonore à partir de leur traversée de 5 à 9h du matin des Parcs à huîtres de Saint-Vaast-la-Hougue, où un ouvrier ostréicole décrit la répétition quotidienne de ses gestes. Elles racontent aussi leur échange avec les enfants et les enseignantes de l’école Eugène Mahaut de Fermanville : « les massues passent sous les tables, sous les bancs, la classe devient un itinéraire de l’errance », écrit Valentina. Entre un récit et une photo, l’imaginaire de l’internaute peut s’activer. De même que celui de la plasticienne Chloé Dugit-Gros, qui en tant que « grand témoin » de l’aventure est chargée de produire une œuvre à partir de sa lecture quotidienne du carnet numérique.
Considérée par le collectif comme une œuvre à part entière, la plateforme de Périple 2021 offrira au terme des six mois de performance une cartographie sensible à plusieurs entrées de la France actuelle. Avec ses spécificités régionales, ses richesses et ses difficultés. À une période où les déplacements sont contraints et les rencontres rares, Protocole célèbre aussi le voyage, le hasard des routes. Valentina par exemple, pour qui le voyage est un mode de vie – elle vit en caravane – voit dans ses cinq errances l’occasion de « découvrir le rapport que d’autres peuvent avoir avec l’itinérance et avec le temps, que nous allons vivre de manière particulière ». D’autant plus qu’en temps de Covid, les haltes sont compliquées. Après Dominique Duthuit, elle partagera son nomadisme avec la cartographe sensible Bénédicte Maillier, avec les deux jongleuses balles Gaëlle Copée et Éleaonor Lhotellier, la performeuse et directrice de la compagnie de théâtre de rue 1 Watt Sophie Borthwick et enfin la danseuse et acrobate Mathilde Roy. Comme ses confrères du collectif, elle se laissera à chaque fois déplacer par l’imaginaire et le savoir de ses invités.
Jonglage des villes, jonglage des champs
Ces invités sont eux aussi animés par des motivations, par des curiosités particulières. Si en se rapprochant d’une bergère, Pietro se laisse aller à son « attirance pour une image assez naïve du berger qui surveille son troupeau au pied d’un arbre, avec sa flûte », son invitée Mélodie a une toute autre démarche. Bergère au sein de l’association Clinamen basée depuis 2012 dans le Parc Départemental Georges Valbon à La Courneuve, elle voit dans Périple 2021 une manière de poursuivre sa réflexion et son expérience de la Ville. « Au sein de Clinamen dont je suis l’un des quatre permanents, comme de manière individuelle, j’aime à me questionner sur notre rapport à la Ville, sur la possibilité de l’habiter autrement, de manière plus respectueuse de l’environnement, plus résiliente. L’art est une belle manière de partager ces interrogations avec un maximum de personnes », explique Mélodie. C’est aussi pourquoi l’expérimentation sociale et agricole de Clinamen comprend un volet artistique, avec notamment un fond d’art contemporain, le F.A.C.A.C. Périple 2021 met ainsi en lumière des démarches urbaines et rurales singulières.
Avec Popay, c’est le street art qui sera à l’honneur. Pionnier du mouvement graffiti en France dès les années 80, l’artiste voit dans la marche qui lui est proposée l’occasion d’« attirer d’autres regards sur le street art, et d’ouvrir celui-ci à d’autres pratiques ». Habitué depuis quelques années à peindre sur de grands murs – « les commandes de villes et autres collectivités territoriales aux artistes de street art se sont multipliées depuis une petite dizaine d’années » –, Popay devra adapter sa peinture aux paysages de La Courneuve qu’il traversera avec son jongleur. « Au lieu de composer des espaces saturés, géométriques, je vais beaucoup travailler sur la ligne. J’ai l’envie d’évoquer la construction d’une civilisation autour d’un cours d’eau, et donc de dessiner selon un modèle bourgeonnant », dit-il. Avec le Collectif Protocole, Popay pourra aussi faire l’expérience d’un autre type de partage artistique que ceux qu’il a longtemps vécus au sein du mouvement squatt, et auprès d’artistes tels que Fantazio. À sa façon, il jonglera la situation.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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