Avec Poings, l’autrice aborde frontalement la relation toxique, le viol conjugal et l’emprise psychologique au travers d’un polyptyque en cinq panneaux. Une audace formelle dont Das Plateau s’empare avec gourmandise et délicatesse.
Dans la bibliographie de Pauline Peyrade, Poings occupe une place singulière. « Cette pièce a marqué une étape dans mon parcours car elle est tirée d’une expérience personnelle, inspirée de faits réels, ce qui n’était pas franchement le cas par le passé ». A peine sortie de l’Ensatt, l’autrice se lance, en tandem avec la circassienne Justine Berthillot, dans la création d’un Sujet à vif pour le Festival d’Avignon 2015. Son thème est lourd : la relation toxique, le viol conjugal et l’emprise psychologique d’un être sur un autre. « Après une première version monologuée de la partie Est, donnée à Avignon, j’ai voulu déployer ce geste et creuser cette histoire, précise Pauline Peyrade. Je voulais vraiment sonder la violence dans le couple, l’aliénation et la manipulation qu’il peut induire et les difficultés à s’arracher à cette situation de violence. »
Désormais, Poings a, comme Le Bruit et la Fureur de Faulkner, l’apparence d’un polyptyque en cinq panneaux. Tous se placent sous l’égide d’un point cardinal (Nord, Sud, Est, Ouest) et le quatrième, « Points », regroupe tous les autres. « L’idée, pour moi, était de déployer les différentes phases de l’histoire avec un parti-pris formel différent, même si je doutais de ce que j’étais en train de faire au moment de l’écriture », explique l’autrice. Le versant Ouest a la forme d’une partition, avec ses cellules et ses indications, symbole de la rave party pendant laquelle Lui et Moi/Toi se rencontrent, la partie Nord celle d’un long récit du viol, à la première personne et au présent, la partie Sud celle d’une scène de théâtre en bonne et due forme, la partie Points celle d’un tableau à plusieurs entrées, où se mêlent des phrases prononcées, des pensées secrètes et des idées tues, et le versant Est celle d’un tableau avec deux colonnes, l’une pour Moi, l’autre pour Toi. « Plus j’avançais, plus le motif de la désorientation apparaissait, justifie Pauline Peyrade. Chaque point allait très fort dans une direction jusqu’à la désorientation totale du personnage, l’absence complète de repères. Tout l’enjeu résidait dans les retrouvailles d’elle avec elle-même, dans la réunification des différents points cardinaux. Le combat contre l’emprise est un combat contre l’autre, mais aussi contre soi-même. » Car, comme l’écrit l’autrice, la victime se soupçonne toujours d’avoir été complice, d’avoir, à un moment ou un autre, « aimé ça ».
Espace mental
Moi et Toi sont les deux faces d’une même femme, dissociée dès la rencontre avec Lui, où Moi met en garde Toi : « Tu peux déjà sentir la fin. Ça commence un combat, ça finira comme combat. » De fait, l’échange avec Lui n’a jamais été possible et se borne à un rapport de forces, de domination. L’homme se nourrit de la femme, la vampirise en même temps qu’il l’enserre. Loin de reproduire la division schématique entre le corps et l’esprit, l’avant et l’après, le conscient et l’inconscient, la femme est double à tout moment. Grâce à un dialogue intérieur, le seul qui persiste, elle se lance dans une reconstitution de son unité, éparpillée façon puzzle à force d’humiliations, physiques et morales. « Dès que l’un prend de l’air, l’autre arrête de respirer », image joliment Pauline Peyrade pour qui la forme porte l’enjeu plus que le contenu.
Cette prééminence de la forme, Das Plateau, comme il avait déjà su le prouver dans Bois Impériaux, l’a bien comprise. Au plateau, l’espace scénographique devient tout aussi signifiant que les mots eux-mêmes, le silence plus percutant que la parole. « Ce qui me touche dans la façon de faire de Das Plateau, c’est leur manière de rentrer par l’inconscient du texte. A partir de là, en pénétrant par une porte hyper puissante, hyper juste, comme celle de l’homme allongé dans la partie Nord, ils peuvent m’apprendre des choses sur lui que je ne connaissais pas. » Sous la houlette de Céleste Germe, le plateau devient le lieu de toutes les illusions. Maëlys Ricordeau incarne, à la fois, Toi et Moi. Par un jeu de miroir et de reflet, le personnage féminin devient de plus en plus insaisissable et les différentes locutrices, réunies dans un même corps, ne se reconnaissent qu’au son de la voix, plus ou moins forte. Un travail de dentellière que Das Plateau magnifie, sans ne jamais rien céder sur le côté le plus cru de cet espace mental tourmenté.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Poings
Texte Pauline Peyrade (Les Solitaires Intempestifs)
Conception et écriture du projet Das Plateau
Mise en scène Céleste Germe
Avec Maëlys Ricordeau et Grégoire Monsaingeon
Composition musicale et direction du travail sonore Jacob Stambach
Collaboration artistique Jacques Albert
Scénographie James Brandily
Création lumières Sébastien Lefèvre
Création dispositifs son et vidéo Jérôme Tuncer
Création vidéo Flavie Trichet-Lespagnol
Assistanat à la mise en scène Léa Tuil
Assistanat à la scénographie Laure CatalanProduction Das Plateau
Coproduction et résidence Espace Culturel Boris Vian avec le soutien de la Ville des Ulis, le département de l’Essonne, la Région Île-de-France et la DRAC Île-de-France / Théâtre National de Bretagne, Rennes / Théâtre du Nord – CDN / CDN Orléans Loiret Centre
Coproduction Le Parvis – Scène nationale de Tarbes / Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine
Avec l’aide à la production de la DRAC Île-de-France et la participation du DICRéAM
Action financée par la Région Île-de-FranceDas Plateau remercie Clémence Boudot, Camille Baraud, Eric Schecter et Julien Goetz, ainsi que la section scénographie de l’ENSATT et particulièrement Alexandre de Dardel, Mathis Brunetbahut, Adèle Colle, Coline Gaufillet, Ariane Germain, Manon Terranova, Ariane Testar.
Durée : 1h10
Le Monfort
Du 26 avril au 4 mai 2024
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