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Les portés du pénitencier

Actu, Paris
Eric Demey

Claire Jenny en répétition à la prison de Réau photo Eric Demey

Théâtre et danse contemporaine entrent régulièrement en prison. Une activité qui, pour ainsi dire, reste le plus souvent dans l’ombre. Le festival Vis-à-Vis (du 22 au 25 janvier 2020) organisé tous les deux ans au Théâtre Paris-Villette y remédie, donne à voir des spectacles de facture professionnelle élaborés avec des détenu.e.s  et éclaire ainsi l’intérêt artistique et humain des projets en milieu carcéral.

« Quand on a fait du trafic de drogue ou du vol à main armée, c’est sûr qu’à faire de la danse, dans la prison, notre crédibilité en prend un coup ». C’est avec beaucoup d’humour et pas mal de franchise que certains des détenus hommes de la prison de Réau, rendue célèbre il y a un an et demi par l’évasion de Redoine Faïd, évoquent leur participation au projet porté par Claire Jenny, chorégraphe de la compagnie Point Virgule. « On fait les clowns quand même. Qu’est-ce qu’on ferait pas pour sortir plus tôt, pour marquer des points dans notre dossier de réinsertion ! » plaisante l’un d’eux, un peu bravache. Entre la surveillance de l’administration et celle de la micro-société de la prison, quelle  place y-a-t-il ici pour une parole authentique? « Moi je m’ouvre, je découvre des gens. La danse, je ne connaissais pas à l’extérieur. J’ai une petite fille, maintenant je me dis que je l’emmènerai voir des spectacles quand je serai sorti », tempère un autre qui raconte également s’être pris ici de passion pour le jardinage.

Des filins anti-aériens quadrillent désormais le ciel de la cour d’honneur de la prison de Réau, là où l’hélicoptère libérant Redoine Faïd a atterri le 1er juillet 2018. La prison de Réau, en Seine-et-Marne est la dernière née de l’Île-de-France. Mise en service en 2011, elle arbore de belles peintures rouges et jaunes sur ses murs, refaites à neuf l’été dernier. Recevant des détenus  et détenues purgeant une peine de 2 ans minimum, jusqu’à perpétuité, l’ainsi baptisé « Centre pénitentiaire du Sud-francilien » ne souffre pas de la surpopulation de ses cousines Maisons d’Arrêt. Planté au milieu de rien, son environnement est calme. Si les détenus de la partie Centrale – détenus condamnés pour des faits plus graves – n’ont pas été conviés à participer au projet Respirations, détenu.e.s des quartiers hommes et du quartier des femmes s’y retrouvent mélangés, comme lors de cette session de répétition.

Combien cela peut les changer 

Couinement des semelles des chaussures qui collent un peu au sol, entremêlement de lignes multicolores dessinant par terre un rond central, des pointillés, des limites réglementaires, buts de hand à poste et paniers de basket relevés, tout y est ici de l’ordinaire gymnase que l’on peut fréquenter « à l’extérieur », hors de la prison. Ils sont une vingtaine à répéter, avec en arrière-fond le bruit de la soufflerie couvert par moments par la musique de l’accordéoniste qui les accompagne. Détenus et détenues, danseurs amateurs et danseuses amatrices qui accompagnent le projet se mêlent. (Respirations engage 14 détenus, 6 danseurs.euses amateurs.trices et 6 professionnel.elle.s). En arrivant, on essaye de distinguer les uns des autres, ceux du dehors, de ceux du dedans. Puis on on accepte de voir réellement tout le monde tant se ressembler, et on les regarde simplement être ensemble, faire ensemble.

Claire Jenny, la chorégraphe de Respirations explique qu’elle travaille depuis quinze ans auprès de populations incarcérées. L’intérêt de cette activité pour les détenu.e.s n’est pour elle plus à prouver. Elle a d’ailleurs collaboré à un article sur le sujet avec la criminologue Sylvie Frigon. C’est le deuxième projet qu’elle monte à Réau. Comme d’habitude, elle part d’une création préalable de la compagnie, qu’elle revisite avec les détenus. Pour Respirations, elle s’est appuyée sur Perspectives, créé en 2017, et a proposé aux interprètes de travailler sur l’apaisement et le déploiement, deux postures, deux états de corps bien rares en prison. « Du côté des hommes, les corps sont  noués, avec beaucoup de serrages, modelés par une pratique sportive intensive, notamment de musculation. Du côté des femmes, ils sont plus souvent marqués par une forme de culpabilité ».

Épaules, bras et pectoraux hyper développés, certains détenus arborent en effet une allure bodybuildée qui tranche d’avec les mouvements plus souples et déliés dans lesquels ils s’engagent. « On travaille beaucoup sur le contact, la relation. On les place dans des états d’être en opposition d’avec ceux qu’ils ont en détention. On les incite à une certaine sensualité qui les change de devoir paraître  forts ». Au milieu du gymnase, les voilà maintenant réunis en déséquilibres, en appuis, à se soutenir, presque à se porter.

« Les psychologues qui les suivent nous disent souvent combien cela peut les changer », ajoute Claire Jenny. Au-delà de l’intérêt de déplacer les détenu.es dans leur rapport aux autres et à eux-mêmes, Valérie Dassonville, co-directrice du Théâtre Paris-Villette souligne bien, dans la lignée de ce que défend le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation), moteur de ces projets du côté de l’administration pénitentiaire, que ces ateliers n’ont pas une vocation occupationnelle mais qu’ils constituent de véritables expériences artistiques. Et le festival Vis-à-Vis cherche bien dans cette perspective à modifier le regard sur ce qu’on aurait tendance à renvoyer avec un peu de condescendance du côté de l’animation culturelle.

Une véritable surprésence au plateau

« De grands artistes ont développé des spectacles en prison. On pourra voir cette année par exemple un film sur le travail de Joël Pommerat à Arles. Là-bas, il s’est développé ensuite comme une troupe permanente. On ne s’en rend pas bien compte de ce que cela peut générer quand on ne fait qu’assister aux restitutions ». Mais Valérie Dassonville insiste également sur le fait que ces travaux peuvent rencontrer un véritable succès public. « On a fait la meilleure billetterie depuis mon arrivée au TPV avec L’Iliade monté il y a deux ans par Luca Giacomoni avec des détenu.e.s. Ensuite, le spectacle a quand même tourné pendant deux ans ». Un succès qui encourage celle qui pendant a longtemps mené des ateliers à Fleury-Mérogis à voir loin, à projeter par exemple de monter un équivalent de Vis-à-Vis en région PACA, région déjà partenaire, ou, pourquoi pas à se prendre à rêver à ce qu’ « un jour en prison, on construise des stades et des théâtres ».

Respirations se jouera d’abord au gymnase de la prison de Réau, devant les ami.es et familles des détenu.e.s, devant d’autres détenu.e.s, avant de se produire au Théâtre Paris-Villette. Les détenu.e.s devront pour cela obtenir une autorisation de sortie. Charge à eux.elles, ensuite, de ne pas en profiter pour s’échapper. « On a eu un peu peur pour certains la dernière fois, jusqu’à ce qu’on les retrouve ils étaient en train de faire des provisions au Mac-Do d’en face ». Seulement six ou sept des 14 participant.e.s au projet devraient obtenir cette autorisation. « Il y a deux ans, le Parquet avait fait appel pour deux détenus et au dernier moment ils n’avaient pas pu venir ». Une fragilité des dispositifs qui fait aussi la force de ces projets. « Ce spectacle, c’est quand même environ 75 heures de répétitions » rappelle Claire Jenny pour souligner l’investissement nécessaire. Une implication sans faille à laquelle, pour Valérie Dassonville, ces spectacles doivent une part de leur beauté. « Quand les détenus viennent, ils viennent bosser. C’est extraordinaire leur concentration, leur intelligence du plateau. Bien sûr, on ne devient pas comédien ou danseur comme cela, mais ils ont une nécessité d’être là qui sur scène leur donne une véritable surprésence ».

Eric Demey – www.sceneweb.fr

23 janvier 2020/par Eric Demey
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