Françoise Dô se tourne vers le jeune public avec ce conte ivoirien, créé à La Comédie de Saint-Etienne, dont elle est artiste associée. En gardant l’âpreté de ce qu’elle a fait jusque-là.
La question de l’enfantement traverse les écrits de Françoise Dô. Déjà dans A parté, à travers un couple désuni et désaccordé, aliéné à un passé individuel douloureux, l’artiste de la Fabrique de la Comédie de Saint-Étienne (également associée à la Cité internationale des Arts de Paris) décrivait cette difficulté (voire cet impossible). En adaptant «Reine Pokou, concerto pour un sacrifice de Véronique Tadjo, elle remet cela au cœur de son récit. En l’occurrence il s’agit d’un conte fondateur de l’histoire de la Côte d’Ivoire au XVIIIe siècle. Une enfant est promise à un grand destin par « les esprits du clan » et parce qu’elle a du sang royal mais elle connaitra « beaucoup de douleur dans la gloire ». Une obsession ? Avoir un enfant car sans cela, une femme est un « continent amer ».
La langue est belle, ciselée mais le récit est parfois plus alambiqué que nécessaire notamment au milieu de l’heure de ce spectacle quand la généalogie est détaillée. Au fond, il s’agit d’une jeune reine humaine et mythologique qui va défendre son peuple contre les envahisseurs au point de sacrifier l’enfant tant attendu pour permettre à ses concitoyens de traverser un fleuve en furie et gagner d’autres terres pour fonder le village de Baouké, berceau de la nation ivoirienne. Et alors obtenir « un royaume puissant ». C’est sur ces mots martiaux que se termine abruptement cette pièce tragique et désespérée : la quête du pouvoir et une soi-disant liberté justifient l’infanticide.
Sans autre élément de décor qu’une lumière découpée qui fait office de quatrième présence tant elle devance, suit, encadre les trois autres, la mise en scène est sèche. Une récitante très en force et deux autres comédiennes, en parfaite connivence pour jouer une Pokou à deux visages, incarnent ce récit cruel étrangement adressé au jeune public dès 9 ans. Les visages sont émaciés, durs, extrêmement changeants. L’expressivité est très travaillée. Le corps est poussé vers la danse. Mais ce sont les cheveux qui sont un élément central de ce conte violent (pléonasme). Quand Rita Ravier fait tournoyer les siens jusqu’à l’étourdissement c’est l’infertilité qui est supposée, quand sa « jumelle » Yasmine Ndong Abdaoui, formée à l’École de la Comédie, reçoit une coiffe (au doux son de pluie), c’est le couronnement et le pouvoir qui s’affichent. Constamment sur une ligne de dolorisme, la douleur comme accomplissement.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Reine Pokou
Texte et mise en scène : Françoise Dô
D’après le roman Reine Pokou, concerto pour un sacrifice de Véronique Tadjo © Éditions Actes Sud
Avec : Alvie Bitemo, Yasmine NDong*, Rita Ravier
Assistante à la mise en scène : Aurore James
Conseiller dramaturgique à la chorégraphie : Abdoulaye Trésor Konaté
Création lumière : Cyril Mulon
Création sonore : Marcel Jean-Baptiste
Costumes Ouria Dahmani-KhouhliProduction : Cie Bleus et Ardoise, La Comédie de Saint-Étienne-CDN
Coproduction : Tropiques Atrium – Scène nationale* issue de l’École de la Comédie de Saint-Étienne
À partir de 9 ans
Durée : 1h
Création à la Comédie de Saint-Etienne
Du 23 au 31 janvier 2024Institut Français de Côte d’Ivoire
16 février 2024Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique
29 février et 1er mars 2024
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