La vie de Redwane Rajel prend un tournant inattendu lorsqu’il découvre le théâtre alors qu’il est incarcéré au Centre pénitentiaire du Pontet. Repéré par Joël Pommerat qui lui ouvre la porte de la voie professionnelle, il présente dans le Off d’Avignon sa première création, seul en scène, où il évoque son incarcération sans fard, ni artifices.
C’est un colosse aux épaules larges, au sourire timide et dont la voix pourrait vous briser si elle le voulait tant elle gronde fort. Redwane Rajel tutoie tout le monde et cite des philosophes comme s’il parlait d’amis en commun. Dans la proximité de la petite salle avigonnaise du Théâtre Transversal, il nous plonge avec une douce intensité dans le huis clos de la cellule où il a passé six années de détention. Un carré blanc au sol, une servante pour seule compagne et deux miroirs qui lui permettent de jouer avec son propre reflet, habillé d’un bleu de travail et des tatouages qui recouvrent les cicatrices de ses avant-bras. Sans colère, ni amertume, il dira tout : la surpopulation carcérale, les surveillants qui manquent de temps, la drogue aussi, l’isolement et la perte de repères qui n’est jamais loin. « L’important ici, c’est d’apporter de la nuance et de réfléchir au sens de la peine, explique le comédien. L’incarcération nous rend oisif. Or être, c’est faire. Il pourrait être intéressant de réfléchir à condamner un détenu non pas à être, mais à faire. Faire un CAP de boulanger, ou un doctorat sur la sagesse, pourquoi pas ! »
Devenu comédien professionnel à sa sortie de prison grâce à sa rencontre avec Joël Pommerat – on peut le voir bouleversant dans Amours 2 et dans Marius –, il se lance pour la première fois dans la création avec À l’ombre du réverbère. Initialement « pas hyper partant pour faire du stand-up », c’est Enzo Verdet, à la mise en scène, qui le pousse à écrire sa propre histoire et à monter seul sur les planches. L’ancien taulard, qui se qualifie de « vieux jeune comédien », y voit l’occasion de parfaire ses gammes, de multiplier le temps sur scène pour travailler son jeu. Et puis il se rend compte de l’importance de parler de son vécu en prison en rencontrant des familles de victimes lors de modules de justice restaurative. « Tu es là pour prouver que les monstres n’existent pas », lui répète son ami Enzo Verdet, rencontré lors d’ateliers de théâtre au Centre pénitentiaire d’Avignon aux côtés d’Olivier Py.
Le théâtre, Redwane Rajel l’a toujours connu, mais de loin. En grandissant dans les quartiers populaires avignonnais, il se souvient des trompe-l’œil de Gérard Philipe dessinés sur la façade de la place Sorano. Vendeur de beignets sur la plage, boxeur professionnel, légionnaire dans l’armée, garde du corps, brancardier dans une clinique, le père de famille a eu mille vies. Le Festival ? Son seul souvenir remonte à la période où il travaillait au service des fêtes de la ville : « Quand on avait fini de monter les gradins, on se tapait un foot avec les techniciens dans le cloître des Célestins », rigole-t-il. Il grandit seul avec sa mère, « une guerrière qui adorait le français », et sa tante, « une drôle de dame qui nous racontait tout le temps mille histoires ».
Py et Pommerat pour parrains
Devenu ingénieur commercial chez Renault, sa vie dérape en 2013 au cours d’une rixe. Il sera condamné pour homicide à six ans de prison lors d’un procès au cours duquel il plaide la légitime défense. S’ensuivent l’espoir, l’incompréhension, la résignation, la tristesse. « J’ai pété des câbles à certains moments, bien entendu », concède-t-il. Les liens avec sa famille se distendent, mais il entretient une correspondance fournie avec Marc Rosmini, professeur de philosophie, rencontré à l’université d’été à Marseille. « Il m’a maintenu à flot et m’a aidé à me sentir exister. »
C’est au hasard d’une rencontre qu’il s’inscrit à l’atelier théâtre du Centre pénitentiaire du Pontet. Et ce sera la révélation. « J’avais besoin de crier, j’avais besoin qu’on m’entende », se souvient le comédien. Il joue dans Antigone avec d’autre détenus et monte à Paris pour présenter la pièce. La suite, on la connaît : il sera Créon pour Olivier Py, jouera dans Macbeth philosophe à la Chartreuse, puis dans Hamlet à l’impératif dans le jardin Ceccano, avant de rencontrer la « grande famille » de la compagnie Louis Brouillard, dirigée par Joël Pommerat. Aujourd’hui, il anime des ateliers de stand-up auprès d’une association marseillaise, embrasse sa nouvelle vie consacrée au théâtre et aussi les joues de sa fille Kahina, deux ans. Kahina, pour le nom de cette reine berbère, mystique, intrépide et libre. La rédemption ? Il n’y croit pas trop. « Aujourd’hui, j’essaie seulement de faire ce que je peux pour rendre ce qu’on ma donné », sourit le comédien.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
À l’ombre du réverbère
Texte Bertrand Kaczmarek, Redwane Rajel, Enzo Verdet
D’après la vie de Redwane Rajel
Avec Redwane Rajel
Mise en scène et scénographie Enzo Verdet
Collaboration artistique Hélène July
Créateur lumière Arnaud Barré
Construction décor Wolfgang Affolter, Guillaume Ledieu, Emmanuelle VenierProduction Théâtre Gymnase-Bernardines, Marseille
Coproduction La Cité Internationale de la Langue Française, Centre des Monuments Nationaux – Villers Cotterêts, Théâtre National de Nice, Centre Dramatique National Nice Côte d’Azur
Avec le soutien du Théâtre Transversal – Scène d’AvignonDurée : 1h15
Festival Off d’Avignon 2024
Théâtre Transversal
du 29 juin au 21 juillet (sauf les mardis), à 21h30Théâtre des Bernardines, Marseille
Dates à venir
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