Le nouvel opus de Mathilde Monnier, Records, se présente à Chaillot comme une pièce post-confinement qui propulse six danseuses renouant dans l’urgence avec la liberté et faisant de la limite une frontière à dépasser.
Créée cet automne à Montpellier (où Mathilde Monnier a dirigé pendant vingt ans le centre chorégraphique national), Records entre immédiatement en résonance avec l’expérience récemment éprouvée du confinement, une période jugée difficile à vivre par la chorégraphe. Il s’agit d’une pièce insolite et insolente, à la fois courte et dense, qui, en une heure, voit passer ses interprètes d’un état quelque peu comateux à celui d’une fièvre délirante. D’abord plongés dans ce qui s’apparente à une longue attente, les corps s’exposent comme en suspens, s’étirent, vacillent, avec langueur, sortent de l’engourdissement. Évidemment, ils ne tarderont pas à s’affranchir et s’affirmer à mesure qu’ils progressent vers le trip libérateur qui les attend. Un sentiment de survie gagne le groupe de femmes dont fait partie la chorégraphe elle-même qui remplace une interprète blessée. Celles-ci apparaissent vêtues d’un simple blue-jeans, le buste et les seins délibérément nus. En rien aguicheuses, et bien combatives, elles laissent progressivement place à des réflexes qui mettent en évidence, physiquement, mentalement, leur fort et salutaire désir de mobilisation, de contestation plutôt que d’assignation.
L’espace vide et blanc temporairement éclairé de coloris fluorescent assume son minimalisme et son abstraction. L’impact métaphorique de ce sas se cristallise dans les seuls éléments matériels qui le composent : un mur qui le délimite et le large écran qui le surplombe sur lequel s’affiche une nature inaccessible. Là encore, la proposition renvoie aussi bien à l’enfermement contraint qu’à l’irrépressible besoin d’ailleurs. Sur l’image vidéo, le ciel et la mer se confondent dans un vague et profond souffle respirant. Les couleurs varient entre une grisaille nébuleuse et une solarité vive. Confinées, les danseuses évoluent en faisant montre d’un solide engagement et d’une force grandissante d’affirmation jusqu’à l’explosion. Tout dans leur danse indique la volonté de s’extirper d’un état qui limite, qui contraint, aussi bien d’un point de vue spatial et mental. Leur fuite en avant est superbement soutenue de sons composites dont le chant clair et organique de la soprano Barbara Hannigan.
Toutes en ligne, face au mur, les danseuses inventent une partition rythmique au cours de laquelle elles tapent, martèlent, fermement et obsessionnellement, à coups de pieds, l’immuable cloison qui les sépare du monde. La précision horlogère dont elles font preuve vole volontairement en éclats lors d’une dernière partie explosive où la parole accompagne une danse-défouloir empreinte d’un mélange de dadaïsme et de martialité. Cette séquence conclusive étonne, saisit, car les danseuses se surpassent en énergie et en inventivité, sortent de leur gonds pour s’animer comme des pantins désarticulés ou des héroïnes de dessins animés. Un geyser de gestes et de sons anarchiques éructe de manière faussement confuse et incontrôlée pour créer un joyeux désordre libératoire.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Records
Chorégraphe Mathilde Monnier
Avec 6 interprètes Sophie Demeyer, Lucia Garcia Pulles, Lisanne Goodhue, I-Fang-Lin, Carolina Passos Sousa, Florencia Vecino
Créateur lumière Eric Wurst
Créateur son Christophe ChassolUne production OTTO PRODUCTIONS / THEATRE GARONNE
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings et le CN D Centre national de la danse, accueil en résidence
En coproduction avec l’Association MM, le Théâtre National de Chaillot, Centre Dramatique National de Valence, MA scène nationale – Pays de Montbéliard, Théâtre Populaire Roman de La Chaux-de-Fonds, en cours…
Durée : 1h
Chaillot – Théâtre National de la Danse
du 6 au 15 janvier 2022
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