Artistes associés pour trois ans dans le Parlement au Théâtre de la Bastille, Agnés Mateus et Quim Tarrida présentent actuellement Rebota rebota y en tu cara explota, une performance coup de poing qui s’attaque de front et sans y aller de main morte aux violences faites aux femmes. Aussi hilarante que glaçante, cette proposition débordante d’énergie frappe là où ça fait mal avec un sens du rythme imparable.
Ça commence par un noir. Un noir profond où le regard ne perçoit rien, pas même une forme, un indice, un mouvement. Un noir qui fait bloc, opaque et oppressant. Et la musique à fond. Ambiance boîte de nuit. Puis elle est là, face à nous, elle troue la lumière, dans son legging à sequins dorés, Agnés Mateus, jambes écartées, position de combat, masque de clown horrifique lui couvrant le visage, elle danse et ce qui marque d’emblée c’est la puissance de son corps, l’amplitude de l’incarnation scénique qui ne faiblira pas, plus d’une heure durant. Performance uppercut, frontale, radicale, Rebota rebota y en tu cara explota (en français, « ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face ») s’attaque de front aux violences faites aux femmes, égrainant ses visages, ses motifs, ses multiples modes opératoires, depuis les récits Disney qui abreuvent notre imaginaire collectif jusqu’aux féminicides dont les chiffres sont encore aberrants. C’est un spectacle trempé dans la colère, la nécessité de hurler stop et d’étaler, sans prendre de gants, sans euphémisme, sans langage propre et policé, une effarante réalité, un système qui depuis trop de temps écrase, soumet, dénigre et tue.
Le résultat, signé Agnés Mateus et Quim Tarrida à quatre mains, est une bombe. Un concentré d’énergie, d’humour, de révolte. Et sous ses airs de concert improvisé, on sent une écriture précise et affutée, qu’elle soit textuelle ou physique, une maîtrise imparable de tous les éléments scéniques. Un geste assuré à la force de frappe maximale, fruit d’une démarche réfléchie et maturée qui glisse progressivement de tirades hilarantes à un constat glaçant. Et le public de rire à gorge déployée tant la verve comique de la comédienne est communicative jusqu’à se figer de terreur dans une scène de lancer de couteaux saisissante. Scène délibérément empruntée au folklore forain, aux numéros de cirque d’antan avec strass et petite tenue où une jeune et jolie jeune femme décore de son corps exposé la cible des assauts de couteaux, forcément énormes et aiguisés, qu’un homme virile aux allures de cowboy balance avec assurance.
Sur scène, il pleut des couteaux donc, des gros mots, des paillettes et des balles rebondissantes. A l’image d’un spectacle qui nous entraîne au pays des contes de fée pour mieux les décapiter, qui avance d’une scène à une autre en rebonds toujours plus percutants, qui tire à bout portant sur l’injustice criante que subit la moitié de l’humanité en un concentré qui donne la nausée. Que ce soit la litanie des blagues sexistes, des insultes et injures machistes, la liste des mortes, la gestuelle chorégraphique viriliste, le tableau glace le sang autant qu’il soulève le cœur. Sans faire un théâtre à thèse ni leçons de morale, Agnés Mateus dresse un relevé méthodique et explosif des récits qui nous constituent, des phrases qui tuent, des épouses invisibilisées, des petites amies assassinées, des suicidées, des clichés sur l’amour et s’en prend à la dictature phallique, à la domination masculine qui dégouline, au mythe du mâle alpha avec une féroce envie d’en découdre et le poing levé.
La dynamique à l’œuvre dans le déroulé fonctionne du tonnerre. Le glissement du divertissement à la prise de conscience politique, entrecoupé de plans séquences projetés en fond de scène sur une musique classique déchirante, construit une expérience de spectateur.ice aussi mouvante qu’émouvante. Dans le film, dans des paysages à l’abandon, bords de route isolés, zones délabrées envahies de végétation, décharges et rebuts, no man’s land excentrés, gisent des corps de femmes sans vie. Fausses respirations dans le tempo haletant de la performance, fenêtres ouvertes sur une inadmissible réalité, la marge écoeurante de notre société. Une manière de nous montrer ce qu’on ne veut pas toujours voir, ce qui se cache derrière des statistiques et de froids constats.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Rebota rebota y en tu cara explota
Conception et mise en scène : Agnés Mateus et Quim Tarrida
Avec Agnés Mateus
Invité Pablo Domichovsky
Son et vidéo Quim Tarrida
Lumières Laura Morin, Quim Tarrida
Coordination technique Laura Morin
Photographies Quim Tarrida
Traduction et surtitrage Marion Cousin
Adaptation de la traduction française soutenue par le Théâtre de Choisy-le-Roi/Scène conventionnée pour la diversité linguistique
Coproduction Festival TNT – Terrassa Noves, Tendències 2017, Antic Teatre, Konventpuntzero et AMateus & QTarrida
Avec le soutien de La Poderosa, Nau Ivanow et Teatre La Massa
Production tournée française Anne Goalard, Jean-Michel Hossenlopp
Aide a la production Paola AmgharDurée : 1h15
Spectacle en espagnol surtitré en françaisDu 15 au 20 mars 2024
Théâtre de la Bastille
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !