Le directeur de Prémisses, Raphaël De Almeida Ferreira, détaille les nombreux chantiers qu’il souhaite lancer au sein du Jeune Théâtre National (JTN) dont il vient de prendre la tête à la suite de Marc Sussi.
Pourriez-vous rappeler la raison d’être du Jeune Théâtre National (JTN) que vous dirigez depuis le 1er octobre dernier ?
Raphaël De Almeida Ferreira : Le JTN a pour principale mission d’aider à l’insertion professionnelle des élèves qui sortent des écoles nationales supérieures d’art dramatique, et spécifiquement du Conservatoire de Paris (CNSAD-PSL) et de l’École du Théâtre national de Strasbourg (TnS). Il constitue aussi un carrefour des systèmes d’insertion propres à chacune des dix autres écoles. L’idée n’est pas de suppléer à leurs missions, mais de mettre en réseau, d’articuler et de renforcer les dispositifs déjà en place, et d’ouvrir un espace de dialogue à leur sujet.
Quels sont les principaux chantiers que vous souhaitez ouvrir, ou poursuivre, au cours des prochains mois ?
R. D. A. F. : À mes yeux, les auditions s’imposent comme le dispositif fondateur du JTN, car l’aide à l’emploi que nous offrons aux productions a longtemps été réservée aux artistes sélectionnés dans le cadre de ces auditions. Au cours des dernières années, cette règle s’est progressivement assouplie et il est désormais possible de bénéficier de l’aide à l’emploi indépendamment de ce système. Or, je suis persuadé que les auditions sont fondamentales car elles garantissent une égalité des chances. Je souhaite donc qu’elles soient remises au centre de la maison et que leur nombre soit remultiplié.
En parallèle, je veux encourager la porosité entre les disciplines et travailler avec des écoles de cirque, de danse, de cinéma, de marionnettes afin que les jeunes artistes de théâtre puissent rencontrer des personnes de la même génération qui fabriquent d’autres formes. Toujours dans cette optique de mise en relation, je souhaite recréer du lien intergénérationnel pour accroître les possibilités d’emploi en organisant des rencontres avec des anciens du JTN et avec des professionnels qui dirigent ou travaillent dans des institutions, comme les Centres dramatiques nationaux (CDN) et les principales organisations professionnelles du secteur.
À l’image de ce que nous avons pu faire chez Prémisses, qui arrive au sein du JTN, je veux aussi mettre l’accent sur les écritures contemporaines, car nous faisons face à une nouvelle génération qui écrit beaucoup, et souvent très bien, et qui a envie d’autres récits, plus en prise avec le monde d’aujourd’hui. À ce titre, il me semble essentiel que le JTN prenne pleinement ses responsabilités sur certains sujets, en particulier en matière de lutte contre les discriminations et les violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS). Je tiens d’ailleurs à ce que nous soyons exemplaires à ce niveau en devenant un lieu ressource, d’écoute et d’accompagnement. À très court terme, nous allons donc mettre en place une ligne de signalement, nous assurer que l’ensemble des salariés du JTN aient suivi une formation VHSS et que l’obtention de l’aide à l’emploi soit conditionnée au respect de certains principes en la matière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En ces temps économiques difficiles pour le secteur culturel, et tout particulièrement théâtral, observez-vous une hausse des demandes d’aide afin d’abonder certains budgets de production toujours plus compliqués à boucler ?
R. D. A. F. : Actuellement, nous signons environ 80 conventions d’aides à l’emploi par an avec autant de productions. Selon la dernière étude d’insertion qui date de 2023, les chiffres d’insertion sont plutôt bons au JTN, mais je souhaite que nous analysions plus régulièrement la situation de l’emploi des artistes – je viens d’ailleurs de commander la réalisation d’une nouvelle enquête en ce sens – et que nous les accompagnions au mieux en fonction des mutations économiques que nous vivons. Aujourd’hui, nous n’observons pas une hausse significative des demandes d’aide, mais, en revanche, dans les dossiers qui nous parviennent, les temps de travail sont souvent plus courts qu’auparavant et n’atteignent pas toujours les deux mois de prise en charge. C’est un vrai souci pour nous et ce n’est surtout pas une très bonne nouvelle pour les artistes qui, en raison de la diminution des temps de répétitions et/ou de diffusion, ont des contrats plus courts. Si je souhaite augmenter le nombre d’auditions, ce n’est donc pas tant pour multiplier le nombre de soutiens que pour tenter d’allonger leur durée et lutter contre la précarité des jeunes artistes.
Pour la quatrième saison consécutive, Prémisses, que vous dirigez, et l’Athénée – Théâtre Louis-Jouvet s’associent pour ouvrir le plateau de la salle Christian Bérard à la jeune création théâtrale. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Sert-elle réellement de tremplin de diffusion aux artistes programmés ?
R. D. A. F. : Dans le cadre de cette programmation partagée, nous offrons aux six équipes que nous accompagnons chaque année des conditions artistiques et professionnelles dignes de son nom et sur un temps long. Nous les aidons à produire leur projet, qui est porté par Prémisses, à le diffuser, en invitant des professionnels, et à le faire connaître, en leur permettant d’avoir un accompagnement presse. Au cours des dernières saisons, de nouvelles têtes ont pu émerger comme Mina Kavani et Théo Askolovitch, par exemple, qui sont respectivement programmés cette saison au Théâtre des Bouffes du Nord [dirigé par Olivier Mantei et Olivier Poubelle, par ailleurs patrons de l’Athénée, NDLR] et au Théâtre de la Bastille [piloté par la fondatrice de Prémisses, Claire Dupont, NDLR] avec un projet initialement créé à Théâtre Ouvert, mais il est vrai que c’est, avant tout, un lieu de repérage d’une génération d’artistes dans un contexte où la diffusion reste parfois difficile.
Est-ce à dire que, par les temps qui courent, les théâtres ont une plus grande aversion au risque et préfèrent miser sur les artistes bien connus du public au détriment des émergents ?
R. D. A. F. : Il est certain qu’il est beaucoup plus difficile pour les théâtres aujourd’hui de prendre seuls le risque de l’émergence, et c’est là que le JTN peut jouer un rôle clef, en travaillant avec eux pour qu’ils puissent inventer de nouvelles conditions d’accompagnement des jeunes artistes. Si les lieux se lancent en solitaire en donnant simplement une part de coproduction sans accompagnement sur le temps long, cela peut aboutir à des projets avec une visibilité dangereuse, voire nulle, fondés sur une situation de précarité des artistes qui n’auront, par exemple, pas les moyens de rémunérer leurs temps de répétitions ; et c’est précisément pour éviter ces situations que nous devons travailler ensemble, dans des logiques de co-responsabilité et de mutualisation des moyens. Quand, avec Prémisses, nous soutenons Joaquim Fossi en lui permettant, d’entrée de jeu, grâce à un réseau de partenaires, de réunir un budget de 100 000 euros et d’avoir 30 dates, le projet paraît immédiatement beaucoup plus viable à tout le monde, et pour les artistes en premier lieu. C’est exactement à cet endroit que le JTN peut jouer un rôle charnière, en facilitant la coopération entre les structures, notamment en profitant du système Prémisses qui devient l’une de ses modalités d’action.
Les artistes émergents sont-ils condamnés, comme c’est largement le cas actuellement, à se produire dans des lieux qui, pour la plupart, tirent profit de leur précarité ou à se contenter d’une programmation événementielle et éphémère dans le cadre de temps forts organisés çà et là par certaines institutions ?
R. D. A. F. : Parmi les temps forts que vous mentionnez, certains font vraiment un beau travail, comme le WET, piloté par le CDN de Tours, Fragments ou Impatience, mais beaucoup ne pensent pas, il est vrai, aux conditions en amont et se bornent à une sorte d’appel à la diffusion. Au JTN, je vais d’ailleurs voir comment se passe le Festival JT 26 pour apprécier les contours de cet événement, car je ne veux pas que les équipes programmées soient dans des conditions de travail urgentes et/ou précaires. Je préfère toujours qu’un dispositif pour la jeune création soit un espace de contribution à la production et à la diffusion plutôt qu’un lieu de présentation de spectacles aboutis dans l’urgence et dans de mauvaises conditions. Dans tous les cas, davantage qu’un coup de projecteur éphémère sur l’un de leurs projets déjà fini, les jeunes artistes ont besoin d’un accompagnement de leur parcours sur le temps long, y compris dans la structuration de leur compagnie (lieu d’implantation, liens avec les collectivités locales, relations avec des lieux partenaires…). Il est absolument nécessaire qu’ils soient, à la fois, bien formés et bien accompagnés vers l’emploi. Aujourd’hui, les écoles de théâtre publiques sont absolument ouvertes à tous les profils, dans toute leur diversité, grâce aux modalités d’entrée qui ont été largement repensées, et notre boussole, au JTN, doit être de tout faire pour favoriser leur insertion.
Au cours des dernières saisons, certains spectacles d’entrée dans la vie professionnelle, comme L’Esthétique de la résistance mis en scène par Sylvain Creuzevault avec le Groupe 47 de l’École du TnS, Mes parents mis en scène par Mohamed El Khatib avec la promotion 10 de l’École du TNB ou Musée Duras mis en scène par Julien Gosselin avec les élèves de la promotion 2025 du Conservatoire, ont connu de beaux destins. Peuvent-ils servir de modèles à encourager, et à reproduire ?
R. D. A. F. : Un spectacle comme Musée Duras n’avait, à la base, pas vocation à être repris en dehors du Conservatoire et il faut souligner que, sans l’aide du JTN, au vu du nombre de comédiennes et de comédiens présents sur le plateau, il n’aurait sans doute pas pu l’être, mais c’est, effectivement, un formidable levier pour les jeunes artistes qui y participent car un tel spectacle constitue un vrai lieu de visibilité pour eux et va, potentiellement, les aider à se faire repérer. Dans le même esprit, avec le Théâtre national de Strasbourg, nous allons oeuvrer pour valoriser le travail des deux élèves metteurs en scène de l’École : leurs spectacles respectifs seront présentés en série dans la programmation du TnS et ils bénéficieront, en amont, de l’expertise, du regard et de l’accompagnement du JTN, car nous pensons que la possibilité de l’insertion professionnelle se construit dès l’école.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr





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