Après une valse-hésitation, la ministre de la Culture aura finalement attendu la fin du Festival d’Avignon pour s’offrir un déplacement bien balisé en dehors des remparts. Sans assister à la moindre représentation et sans apporter de réponse à la crise que traverse actuellement le spectacle vivant.
« Avignon, c’est comme une famille », ose la ministre de la Culture, Rachida Dati, en visite, ce jeudi 24 juillet au matin, dans la cour de l’espace social et culturel La Croix des Oiseaux, situé dans le sud de la ville. « Le Festival d’Avignon se résume trop souvent au Palais des Papes, on n’y a pas assez accès », poursuit celle qui, contrairement à la majorité de ses prédécesseurs, n’aura pas daigné y mettre les pieds, avant de remercier le directeur du Festival, Tiago Rodrigues, présent au côté de Françoise Nyssen, présidente du conseil d’administration : « Vous l’avez rendu plus accessible et plus ouvert. Quand je vous vois et vous entends, je suis très fière ». Le directeur du Festival lui répond par une prise de parole concise : « Cette utopie de théâtre populaire doit continuer à être renouvelée en travaillant en ruralité ou dans les quartiers périphériques ».
Les quartiers périphériques, justement, sont au coeur de ce déplacement attendu depuis le début du Festival, alors que la ministre de la Culture s’était rendue au Festival d’Aix-en-Provence et à Arles le 6 juillet dernier. Une manière d’éviter le chahut qui l’attendait à l’intérieur des remparts, où une cinquantaine de manifestants se sont rassemblés devant la Cité Administrative, à l’appel des différents syndicats du secteur, une large banderole déployée indiquant « Culture en danger ». « On demande le re-financement de notre secteur, abonde Ghislain Gauthier, secrétaire général de la CGT Spectacle, premier syndicat du secteur culturel. Et puis on ne veut pas d’une ministre renvoyée en correctionnelle. Le message à envoyer à la jeunesse, ce n’est pas celui-là. On demande son retrait de la vie politique. »
Car c’est peut-être aussi pour détourner l’attention de son renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris prononcé mardi 22 juillet pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Carlos Ghosn que la ministre s’est offert cette escapade avignonnaise. Pour rappel, elle est soupçonnée d’avoir illégalement fait du lobbying au Parlement européen au tournant des années 2010, en quête de décisions favorables à Renault et à Carlos Ghosn, l’ex-patron de Renault-Nissan, également mis en cause, et ce, contre la coquette somme de 900 000 euros. Du plus mauvais effet pour celle qui vise la Mairie de Paris en 2026 et qui, ayant fait appel de la décision, exclut de démissionner du gouvernement.
Une réunion de travail sans effet
À l’issue de la visite du centre social et culturel, suivie de celle d’un EHPAD accueillant un centre d’art conçu par Mohamed El Khatib, Rachida Dati a convié les professionnels du secteur et la direction du Festival à une réunion de travail afin de « montrer ce qui a été fait en 2025 » et de prouver que « pas un euro n’a manqué au spectacle vivant sur les territoires ». Une entrevue qui n’a débouché sur aucune annonce, regrette Fabrice Roux, président de la Scène Indépendante, syndicat du spectacle vivant privé, présent à La FabricA aux côtés de l’ASTP (Association pour le soutien du théâtre privé), d’Ekhoscènes (Syndicat national du spectacle vivant privé), de France Festivals, ainsi que de Tiago Rodrigues et d’Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française. De leur côté, les syndicats représentatifs du personnel et du théâtre public ont décliné l’invitation.
Au-delà des 114 millions de crédits de paiement prélevés dans la réserve de précaution du ministère en avril dernier, c’est la coupe budgétaire de 2,2 milliards d’euros auprès des collectivités territoriales dans le budget 2025 qui inquiète le secteur. Villes, départements et régions étant les premiers financeurs du spectacle vivant. Ironie du sort, la structure La Croix des Oiseaux, qui accueillait ce jeudi 24 juillet la ministre, subit elle aussi de plein fouet les conséquences de ces choix budgétaires : avec 400 000 euros supprimés dans l’enveloppe du département du Vaucluse à destination des contrats de ville, les collégiens et les lycéens se sont vus privés de sortie.
Il est peu probable que Rachida Dati s’aventure davantage à l’intérieur des remparts de la ville, la CGT Spectacle ayant appelé, le 3 juillet dernier, les artistes, techniciens et personnels administratifs ou d’accueil à « refuser de jouer » si la ministre de la Culture se présentait lors d’une représentation dans la Cité des Papes. Un préavis de grève préventif a été déposé pour la période du 7 au 26 juillet.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
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