Elle vient de publier un premier roman délicieux intitulé J’ai tout dans ma tête tandis qu’elle continue sa collaboration fructueuse avec Justine Heynemann après le double succès des Petites Reines et de Songe à la douceur. Rachel Arditi est à l’affiche de PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres, programmé cet été dans le OFF d’Avignon à La Scala Provence. Rencontre avec cette artiste pétulante, aussi autrice qu’actrice, et de revenir sur son parcours pour mieux la connaître.
Comédienne malicieuse au visage encore juvénile, l’œil enjoué et le sourire espiègle, Rachel Arditi semble éternellement jeune. C’est pourtant une femme mure et ancrée que l’on rencontre une matinée de mars, forte d’expériences scéniques variées, aussi bien dans le théâtre public que dans le privé, riche de rencontres et collaborations fertiles, adoubée autrice depuis la publication chez Flammarion, en janvier dernier, de son premier livre J’ai tout dans ma tête, un roman épatant, tout de grâce et d’humour vêtu, enchanteur et bouleversant. Le récit entrelacé de deux fils narratifs, l’accompagnement d’un père en fin de vie et les tribulations d’une comédienne rêveuse, deux traversées qui résonnent à bien des égards avec sa vie tout en gardant une distance salutaire, celle de la fiction, champ de possibles infini, espace de liberté galvanisant. Une entrée en littérature remarquée qui vient couronner les nombreuses adaptations qu’elle cosigne avec sa complice de théâtre, la metteuse en scène Justine Heynemann. L’écriture et le jeu, deux facettes d’une artiste affranchie qui se sent à l’étroit dans la peau d’une actrice et ne veut dépendre de personne.
Petite dernière d’une fratrie de quatre dont le célèbre Pierre Arditi qu’on ne présente plus, fille du peintre Georges Arditi, Rachel Arditi est une enfant de la balle aux “références assez écrasantes”. Difficile de se forger un prénom, de trouver sa voie, quand vos prédécesseurs se sont taillés une place aussi imposante dans le paysage cinématographique et théâtral. “J’ai beaucoup tergiversé” confie-t-elle, “mon désir d’être comédienne a été très long à assumer”, Rachel a commencé à jouer presque malgré elle, remplaçant une soeur enceinte sur Le Libertin d’Eric-Emmanuel Schmitt, dans une mise en scène de Bernard Murat. Premier rôle professionnel qui sera suivi d’allers retours avec les planches au gré de ses prises de distance indécises. Des études de lettres modernes, des cours de piano classique, une incursion dans une agence de communication qui lui vaut, ironie du sort, de recevoir le TOP COM d’Or, le théâtre n’est pas une évidence à cette époque. Et puis, l’occasion de la scène se présente à nouveau, elle passe le casting pour jouer dans Madame Doubtfire aux côtés de Michel Leeb et décroche le rôle. Expérience formatrice mais elle sent bien que ce n’est pas “son” endroit. C’est alors qu’elle rencontre le metteur en scène Régis Santon avec qui elle jouera dans Love and Fish, Britannicus, Do, mi, sol, do ! dans une alternance de registres et de genres enrichissante. “C’est ma première bande de théâtre, c’est dans ce contexte que j’ai rencontré Camille Chamoux et Camille Cottin”.
Ensuite, tout s’enchaîne, elle fait son premier Avignon sous la direction de Benjamin Bellecour dans L’Aide-Mémoire de Jean-Claude Carrière, se lie d’amitié avec Salomé Lelouch qui la met en scène à plusieurs reprises dans des rôles excitants : La Dame de chez Maxim, Qu’est-ce qu’on attend, Politiquement correct, et au milieu, son premier seule en scène Ce Jour-là où elle interprète une galerie de personnages. Les dés sont lancés. Dès lors, sans que ce soit un choix conscient, ce sont des metteuses en scène qui viennent à elle. Elle travaille sous la direction de Pauline Bureau (Modèles, Sirènes), de Léna Bréban (Les Inséparables, Verte et reprend un rôle dans Comme il vous plaira), de Justine Heynemann (Les Petites Reines, Songe à la douceur, PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres). Des complicités fortes et durables. Mais il est une autre rencontre déterminante, certes ponctuelle, mais qui opère comme un point de bascule dans son parcours et lui ouvre la possibilité d’une autre dimension de l’interprétation, celle de l’acteur-créateur, c’est son travail avec Julie Brochen dans le cadre de “Paroles d’acteurs”. Un montage de deux pièces de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde et Derniers Remords avant l’oubli, qui lui ouvre un monde, la découverte d’une langue, et lui laisse un souvenir indélébile. “Quelque chose se créait sur scène et tout à coup je faisais partie d’un des éléments de la création” se remémore-t-elle.
S’ouvre alors une période enthousiasmante et joyeuse. Aux côtés de Léna Bréban, Rachel Arditi peut “jouer en grand, à la limite du cartoon”, elle a l’impression qu’elle “a voix au chapitre” et la dimension clownesque lui va comme un gant. Aux côtés de Justine Heynemann, elle se lance dans une succession de co-adaptations de romans de Clémentine Beauvais qui creusent le sillon de l’adolescence : “Les Petites Reines” et “Songe à la douceur” sont des succès galvanisants et ajoutent une corde à son arc d’interprète. Avec leur nouvelle création, “PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres”, Justine et Rachel passent un cap. Elles s’inspirent de l’histoire vraie des Slits, premier groupe de punk féminin londonien et écrivent à quatre mains un spectacle en forme d’épopée musicale où les quatre jeunes filles sont à la fois les héroïnes et les narratrices de leur aventure. Et pour la saison prochaine, puisqu’on n’arrête pas une si belle dynamique, les deux complices s’emparent des deux tomes de la fameuse bande dessinée féministe de Pénélope Bagieu, Culottées, pour l’adapter à la scène avec les comédiennes du Français sur le plateau du Studio-Théâtre de la Comédie-Française.
Petit à petit, l’écriture s’impose dans la vie de Rachel Arditi qui profite du premier confinement pour amorcer son premier roman. “Je n’avais pas compris que j’écrivais depuis toujours. Le déclic, c’est quand j’ai appris la maladie de mon père [ndlr, Alzheimer]. A ce moment-là j’ai compris qu’il allait perdre le contact avec la réalité. Je me suis mise à lui rendre visite tous les jours, à le pister d’une certaine manière. Je voulais tout retenir, tout recueillir, je prenais des notes tout le temps, partout, sur des serviettes de restaurant, des bouts de papier, je l’enregistrais aussi. La naissance de l’écriture, en réalité, date de cette période-là”. Sa manière de résister à l’adversité, de garder en mémoire ce qui est important, de faire le deuil tout simplement. La mort de son père coïncidera avec une triple naissance, celle de sa fille, celle de l’écriture et celle d’une femme émancipée dans son art. En écrivant, elle fait véritablement acte de création, “celle qui ne dépend que de ta ressource propre” et se dégage de la dépendance aux autres. L’écriture devient l’endroit absolu de la liberté. “Tu es d’autant plus libre quand tu écris, que tu avances masquée, tu es dans ton refuge, loin des regards. Pour me sentir libre, j’ai besoin d’être cachée. Tu es coupée de ce truc qui est de “rendre des comptes”. Je ne suis pas qu’actrice, je ne peux pas me contenter de cette position-là. L’écriture en est le prolongement naturel, celui qui me permet d’être le plus libre possible.” “J’ai tout dans ma tête”, qui mélange délicatement le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire, avec un sens de l’humour et de la description radieux, et un élan qui n’appartient qu’à elle, confirme l’intuition d’une artiste qui, en donnant corps à son premier roman, accouche d’elle-même. Sur les planches et dans les livres, la suite s’écrira en sautant d’un pied sur l’autre, comme à la marelle, entre la terre et le ciel, entre le jeu et les mots, dans un double mouvement qui la comble et lui va si bien.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
“J’ai tout dans ma tête”, publié chez Flammarion
“PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres”
Le 25 mars 2023, Théâtre des Deux Rives, Charenton-le-Pont
Les 29 et 30 mars 2023, à l’Espace des Arts, Châlon-sur-Saône
Le 14 avril 2023, à Villeneuve-Saint-Georges
Le 12 mai 2023 à Saint-Cloud
juillet 2023, à la Scala Provence, Avignon
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