Au festival Montpellier danse, Josef Nadj présente sa nouvelle création, Full Moon. Un spectacle fusionnant les influences de danseurs issus de plusieurs pays du continent africain, dans la lignée de Omma, qui demeure plutôt lointain et hermétique.
Quatre années après Omma – spectacle qui poursuit encore sa route aujourd’hui, cette longévité attestant de son succès – Josef Nadj prolonge la collaboration initiée avec l’équipe rencontrée alors. Tandis qu’Omma réunissait sur scène huit danseurs originaires de pays du continent africain (Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Congo Brazzaville et République Démocratique du Congo), Full Moon permet de retrouver sept de ces mêmes interprètes, avec, cette fois, sur scène à leurs côtés Josef Nadj. Ce faisant, cette nouvelle création – qui a vu le jour à l’occasion de Montpellier danse – se donne volontiers comme une œuvre travaillant la question des identités multiples (★).
En s’intéressant à la façon dont des cultures plurielles sédimentent en chacune et chacun, cette pièce chorégraphique résonne autant avec le parcours de Josef Nadj que celui des sept danseurs. Tandis que, pour l’un, c’est un axe est-ouest qui a nourri la construction de son langage chorégraphique (Nadj ayant grandi en Voïvodine, dans une enclave hongroise d’ex-Yougoslavie, dans l’actuelle Serbie, avant de venir en 1980 à l’âge de vingt-trois ans en France), pour les autres c’est un axe Nord-Sud qui infuse notamment leur univers, tous vivant loin de leur pays d’origine (et le plus souvent en France). Quid, à l’aune de cette perspective, de la référence à la lune qui donne son titre à ce spectacle ? Au-delà des atmosphères souvent crépusculaires (mais propres au travail en général de Josef Nadj), la convocation de l’astre nocturne semble assez capillotractée – à moins de lire dans les différentes phases et cycles de la lune une métaphore des différents états, sensibilités, cultures agrégées.
Outre la question d’une pluralité d’influences, qu’elles soient musicales ou chorégraphiques, contemporaines ou traditionnelles, Full Moon aborde aussi en sous-main la place du « maître » et de la transmission : cette place singulière est signalée dès le début du spectacle, puisque c’est par la présence seule du danseur, chorégraphe, plasticien et photographe que Full Moon s’ouvre. S’avançant précautionneusement dans un cercle aux contours flous de faible lumière, Josef Nadj – vêtu d’un costume noir comme de coutume et la tête masquée par un étrange masque sans forme humaine ni animale – s’anime. Alors que ses pieds glissent sans décoller du sol, ses mains et ses bras exécutent de multiples mouvements, évoquant par leur tonalité mécanique un pantin manipulé. Cette figure marionnettique bascule en une torsion des mains du statut de manipulé à celui de manipulateur, avant de disparaître dans l’obscurité tandis que les sept danseurs apparaissent. Si leur première danse avec des fils prolonge cette métaphore de la marionnette, le spectacle ne creusera guère plus avant cette évocation. Ou : alors, de manière assez peu lisible, un brin confuse. Et à dire vrai, l’absence de geste clair et suffisamment articulé pour emporter caractérise l’ensemble de Full Moon. L’alternance de séquences réunissant les sept danseurs ou Josef Nadj seul, ou tous réunis vers la fin de la pièce chorégraphique a beau être marquée par une danse maîtrisée fusionnant les influences – danses traditionnelles renvoyant au chamanisme et à la transe, comme les danses contemporaines et urbaines du continent africain –, le spectacle demeure plutôt lointain et hermétique.
On y retrouve pourtant certains éléments chers au chorégraphe, tels qu’une création lumière travaillant savamment les clairs obscurs et faisant surgir les interprètes de la nuit avant de les y rappeler ; les costumes noirs ; les mouvements de décomposition des gestes des bras et des mains. Mais ni la physicalité et l’engagement bien réel des sept danseurs, ni les lumières sculpturales dessinant les différentes statures et musculatures de leur torse nu, ni la partition musicale percussive cheminant vers le jazz en toute fin de spectacle ne parviennent à donner une puissance suffisante à la création. Quoique le syncrétisme des danses soit là, une distance domine, accentuée par les redondances dans certaines séquences et par le caractère abscons de certains signes, comme le changement de masques de Josef Nadj. Quant à l’alternance entre le groupe et l’individu, elle peine à déployer l’expressivité singulière de chaque interprète. Ce sentiment que le spectacle achoppe à se dépêtrer d’un tempérament nébuleux et indécis se prolonge jusque dans la danse qui suit les applaudissements. Plus légère, cette séquence – qui remplacera les traditionnels saluts (volonté, on le suppose, de situer la proposition du côté du rituel plus que du spectacle) – tranche formellement. La musique ; les costumes ; les masques – comme si tous désormais reprenaient les atours de Nadj, chacun avec sa singularité – ; dessinent une tonalité un brin cocasse. Mais qui ne dépasse pas l’effet de surprise et demeure, comme l’ensemble, trop impénétrable.
(★) La journaliste ne peut à ce sujet que regretter que le programme papier du festival ne cite pas les pays d’origine des danseurs, n’évoquant que « l’Afrique ». Imaginerait-on pour des interprètes européens évoquer « L’Europe » sans préciser leur pays respectif ?
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Quand la lune se lève
Atelier 3+1 / Josef Nadj
Chorégraphie : Josef Nadj
Avec Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aipeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Sombewendin Marius Sawadogo, Boukson Séré et Josef Nadj
Collaborateur artistique : Ivan Fatjo
Production, diffusion : Bureau Platô (Séverine Péan et Mathilde Blatgé)
Administration de production : Laura Petit
Production déléguée : Atelier 3+1
Coproduction : Festival Montpellier Danse 2024, Le Trident, Scène nationale de Cherbourg, MC 93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, Le Trident, Scène nationale de Cherbourg, Charleroi Danse, Le Tropique Atrium, Fort-de-France, Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues, Le Théâtre d’Arles
Avec le soutien du Ministère de la Culture – DRAC Ile de France, la Région Ile de France, le CND – Centre National de la Danse à Pantin, La Maison des Métallos.Montpellier Danse 2024
Opéra Comédie
du 24 au 26 juinMC93 Bobigny
du 17 au 19 octobre 2024
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