Angelica Liddell crée au Festival d’Avignon « Qué haré yo con esta espada ? ». Un spectacle qui prend comme point de départ les attentats de novembre 2015 à Paris et l’acte de cannibalisme du Japonais Issei Sagawa en juin 1981 dans la même ville. Paris, ville folle ? Les Français sont-ils aveugles ? Liddell répond à cela par un flot de hurlements, d’insultes et d’images à visée choquante.
Comme à son habitude, le personnage de Liddell occupe le centre de la scène. La majorité du spectacle la montre en train de hurler de longs monologues aux airs de leçons péremptoires. Elle crie son malheur, sa tristesse de ne pas être aimée ni même haïe. Elle continue de jouer la carte de la mal-aimée bien qu’aujourd’hui, elle soit adulée par un public de fanatiques. Si elle allait mieux, plus personne ne viendrait la voir.
« Qué haré yo con esta espada ? » est une succession d’images provocantes d’arrière garde. Il y a tellement peu de vêtements sur les acteurs que l’on ne peut pas s’empêcher de rire lorsqu’on lit dans le programme que les costumes sont d’Angelica Liddell. Le premier homme nu apparaît au bout de trente secondes. Deux minutes après le début de la représentation, Angelica Liddell exhibe son sexe, le lave et le caresse tout en étant allongée sur une table de dissection. Au bout de trente minutes, au son strident d’un gagaku, trois jeunes Japonais, une geisha et huit jeune filles blondes sont totalement nus. Ensemble, ils réalisent tous les fantasmes nippons les plus clichés : fétichisme, constitution d’une collection de serviettes hygiéniques usagées et rapport sexuels avec de vrais poulpes, utilisés par ces filles au physique adolescent pour se fouetter pendant plusieurs dizaines de minutes. Un écho à la culture sociétale japonaise qui aurait – on le comprend comme cela – conduit Issei Sagawa à être ce qu’il est devenu. Liddell questionne en cela la question de l’origine du mal, la construction du soi et le poids des origines dans le devenir d’une personne. Parce que tout lui sert de prétexte, elle fait le lien entre les fondements de la pensée nipponne et la basse cour dans laquelle se mêlait les excréments des animaux et des humains pendant sa jeunesse où elle se torchait l’arrière-train avec des pierres.
Durant les presque cinq heures que dure le spectacle, elle baigne ses perversions dans un étalage de références intellectuelles. Les « Métamorphoses » d’Ovide, Cioran, L’épitre de Saint Paul aux Romains… Mais c’est surtout sa pensée qu’elle développe, son obsession pour les meurtriers. Elle fait part de son désarroi de n’avoir jamais attiré un tueur pour se faire assassiner à son tour. Elle communique son désir de se faire « baiser » le jour de la mort de ses parents, mais aussi le jour de sa propre mort. Elle voudrait inviter Issei Sagawa, qui a toujours revendiqué son acte comme artistique, sur la scène de l’Odéon. Elle parle aussi de tuer sa mère, de l’effet que lui font les bukake qu’elle regarde à outrance, comme les images atroces qu’elle collectionne dans son imaginaire sans éprouver de répulsion. Elle évoque le sperme qu’elle aurait avalé par litre à Paris la nuit qui a suivi les attentats du 13 novembre. Cela sans oublier sa propre responsabilité dans ces attentats qui seraient arrivés à cause de ses idées noires, des mauvaises pensées qu’elle véhicule et qui agissent à l’endroit où elle se trouve.
Elle même entretient la fascination par des rituels érotico-macabres, des scènes de nu dans lesquels les acteurs cherchent leurs limites sur fond de « tubes » de la musique classique, du Concerto 23, de Mozart au Dido’s Lament, de Purcell. Elle esthétise et étire en longueur l’horreur et la violence, rend hommage aux monstres humains qu’elle adule. Car, comme le disent les sorcières dans Macbeth, le beau est le laid et le laid est le beau. Mais Liddell n’a pas la plume d’une Virginie Despentes quand elle parle de sexualité, ni d’un Baudelaire quand elle analyse ses angoisses. Son abondante prose fait résonner son immaturité.
Hadrien VOLLE – www.sceneweb.fr
Que ferai-je, moi, de cette épée ? Approche de la loi et du problème de la beauté
Mise en scène ANGÉLICA LIDDELL
Texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell
Lumière Carlos Marquerie
Son Antonio Navarro
Avec Victoria Aime, Taira Irie, Masanori Kikuzawa, Angélica Liddell, Gumersindo Puche, Ichiro Sugae, Kazan Tachimoto et la participation de musiciens et figurants
Production Ianquinandi SL
Coproduction Festival d’Avignon
Avec le soutien de la Communauté de Madrid et de la Japan Foundation, Festival /Tokyo
Que ferai-je, moi, de cette épée? de Angélica Liddell, traduction Christilla Vasserot, est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.
Durée : 4h45 (avec entractes)Avignon 2016
Cloître des Carmes
Du 7 au 13 juillet à 22h sauf le 9
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