Galin Stoev, le directeur du ThéâtredelaCité CDN Toulouse Occitanie a mis en scène au Théâtre national de Sofia, La Haye de Sasha Denisova, une satire basée sur des faits et des personnages réels liés à l’invasion russe en Ukraine dont Vladimir Poutine. Ecrite peu de temps après le début de l’agression militaire, la première a eu lieu en février 2023 en Pologne dans une mise en scène de Sasha Denisova. Le spectacle arrive dans son théâtre à Toulouse.
Vladimir Poutine sera-t-il jugé un jour par la Cour pénale internationale (CPI) ? Sur scène, une adolescente pleurant sa famille tuée en Ukraine imagine un tel dénouement à la guerre, sous le regard d’un public bulgare bouleversé. Initialement créée en Pologne, la pièce, sobrement intitulée La Haye, se joue actuellement au Théâtre national de Sofia en Bulgarie, ancien État communiste d’Europe de l’Est historiquement lié à la Russie, où les thèses du Kremlin séduisent encore une large frange de la population, le pari était risqué.
Salle pleine à craquer, comédiens ovationnés, auditoire ému aux larmes : « Les spectateurs sont secoués et se posent des questions », salue Galin Stoev. Choqué par « une agression injustifiable », le metteur en scène né en 1969 à Varna en Bulgarie explique avoir voulu « intervenir à son niveau » pour ouvrir les yeux des Bulgares, dont « 30% sont pro-Poutine selon des études ».
Une jeune fille, dont les proches ont été fauchés par des bombes russes dans l’enfer de Marioupol, livre « avec des yeux d’enfants son interprétation de la terrible réalité de la guerre » son rêve, celui de voir livrés à la justice « Poutine et sa clique ».
Le président russe est campé par une femme : Radena Valkanova. Costume noir, cravate et souliers rouges, elle se transforme à la fin en fée cruelle de contes, vêtue d’un jupon transparent et s’exprime à la façon du « Roi Soleil » : « La Russie c’est moi, je suis la Russie ». Comme pour Adolf Hitler moqué par Chaplin, « il faut rire de Poutine sans merci », car la satire l’affaiblit, explique Sasha Denissova. L’autrice ukrainienne mêle « des répliques connues de personnalités réelles », dans un style très documenté, et un « avenir inventé ». « Si nous ne parvenons pas à voir le procès de La Haye dans la réalité, regardons-le au théâtre », lance-t-elle.
La pièce a été écrite avant même que Vladimir Poutine ne soit visé, en mars, par un mandat d’arrêt international de la CPI pour la « déportation » d’enfants ukrainiens vers la Russie. Sacha Denissova l’a d’abord créée à Poznan en Pologne, où elle avait fui, avant d’être invitée aux Etats-Unis. Avec à chaque fois, des adaptations et troupes différentes selon les pays.
Ajustement en temps réel
Principal défi, adapter constamment la pièce au gré des rebondissements de l’actualité. Yulian Vergov, qui interprète Evguéni Prigojine, raconte sa panique devant la nécessité de revoir tout son texte après la mutinerie avortée du patron du groupe Wagner, puis sa mort dans l’explosion en vol de son avion fin août. « Nous avons ajouté de nouvelles lignes, et puis encore de nouvelles » quasiment en temps réel, en laissant planer le doute sur son sort, dit-il. « C’est la première fois que j’étais confronté à cette expérience : jouer un vrai personnage qui meurt pendant les répétitions. C’est impressionnant ». La troupe suit également les dernières rumeurs sur l’état de santé du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, fidèle allié de Poutine, ou encore du président russe lui-même.
De rares critiques ont émergé sur la « partialité » de ce théâtre politique, qualifiée par un de ses détracteurs de « vaudeville de propagande ». Un acteur a quant à lui décliné un rôle pour des raisons idéologiques, dans un milieu culturel généralement réticent à s’immiscer dans le débat public. « Nous invitons le spectateur à réfléchir sur des événements réels », à tirer ses propres conclusions, répond le directeur de la salle Vassil Vassilev. « La politisation, c’est tout l’inverse : quand on nous dit ce qu’il faut penser ». L’actrice Radena Valkanova – Poutine sur scène – se réjouit de l’accueil positif. « La pièce est là pour réveiller les mentalités dans une nation trop passive » qui n’a pas conscience des horreurs de la guerre, juge-t-elle.
Après une escale à Toulouse, Galin Stoev esquisse un souhait : présenter La Haye dans les campagnes de sa Bulgarie natale, privées d’accès à la culture et sensibles aux arguments prorusses.
Vessela Sergueva © Agence France-Presse
La Haye de Sasha Denisova
Par le
Théâtre national Ivan Vazov, Sofia – Bulgarie
Mise en scène
Galin Stoev
Avec la troupe du Théâtre national de Sofia
Kremena Deyanova,
Radena Valkanova,
Velislav Pavlov,
Darin Angelov,
Dimitar Nikolov,
Iliana Kodzhabasheva,
Plamen Dimov,
Radina Kardzhilova,
Sofia Bobcheva,
Stelian Radev,
Hristo Petkov,
Hristo Terziev,
Julian Vergov,
Yavor Valkanov,
Vasil Draganov
Traduction en bulgare
Galin Stoev
Traduction en français
Gilles Morel et Tatiana Moguilevskaia
Surtitrage en français
Virginie Ferrere et Galin Stoev
Dramaturgie
Mira Todorova
Scénographie
Boris Dalchev
Costumes
Kancho Kasabov
Création musicale
Emilian Gatsov-Elbi
Arrangements musicaux et coach vocal
Georgy Georgiev-Antika
Chorégraphie
Marion Darova
Lumières
Ilya Pashnin
Assistanat costumes
Tsetska Ivaylova
Maquillage et perruques
Rozalina Peycheva
Production
Théâtre national Ivan Vazov, Sofia – BulgarieCréation le 19 septembre 2023 au Théâtre national Ivan Vazov, Sofia – Bulgarie
24 et 26 janvier 2024 au ThéâtredelaCité CDN Toulouse Occitanie
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