Avec Portraits détaillés, le trio, Lucien Fradin déplie une pièce tendre et militante, où intimité et documents d’archives se mêlent pour questionner le terme « pédé ». Une pièce à l’esthétique DIY charmante jouée au Train Bleu, dans le cadre du Festival Off d’Avignon.
Sur la scène, une table, deux chaises, des micros et deux comédiens, cheveux rose bonbon et bleu, qui se lancent dans un karaoké. En lettres stylisées sur un grand écran derrière eux, défilent les paroles d’une reprise, façon électro-pop, du titre Viril de Jean Guidoni. D’habitude, Portraits détaillés est un trio, mais, ce soir-là, on assiste à une version duo avec Lucien Fradin, le concepteur de la pièce, accompagné du vidéaste Pablo Albandea, mais sans Lu Ottin, qui a composé la bande son du spectacle. Depuis 2016, Lucien Fradin monte, avec sa compagnie La Ponctuelle (qui porte aussi les créations d’Aurore Magnier), des solos autofictifs qui abordent la famille, la ruralité, toujours ostensiblement situé dans le vécu LGBTQIA+. Cela, il le fait à travers des récits émouvants où il documente sa propre intimité, portée par une esthétique DIY pop, qui leur confère une fragilité touchante.
« Je dis pédé et je vais dire pédé. Sachez qu’on peut dire pédé quand on est pédé et que, quand on ne l’est pas, il est de bon ton d’y réfléchir à deux fois », annonce Lucien Fradin au début de Portraits détaillés. Le terme « pédé.e » est au centre de ce spectacle, une manière de se réapproprier l’insulte, de se revendiquer « pédé.e », une identité qui dérange une masculinité virile hétéronormée hégémonique. Et à travers une série de portraits touchants qui rythment le spectacle, il tente de répondre à la question : « Mais au fait, qu’est-ce qui fait pédé.e ? ».
On découvre ainsi plusieurs lettres sans réponses à des petites annonces du magazine Gay International de l’année 1983, confié par un antiquaire, qui nous plongent dans le vécu et les questionnements des jeunes homosexuels ruraux d’il y a quarante ans, la difficulté de se rencontrer et de faire communauté. Des documents soigneusement archivés dans des dossiers, répertoriés dans un tableau Excel sont diffusés sur scène, comme pour conférer une place à des récits minorisés, écrasés par les images de la romance hétérosexuelle. On y croise aussi le récit d’un homme transgenre homosexuel, qui expose, en portant un masque de chien, façon puppy play, les difficultés à s’affirmer comme « pédé », du double stigmate et de la discrimination au sein même de la communauté LGBTQIA+.
Dans ce spectacle aux allures bricolées, mais pourtant très bien ficelé, performance, vidéo et musique s’allient pour former un ensemble pop, tendre et militant. S’y déploie une esthétique kitsch teintée de douceur, devenue branchée, qui invoque la nostalgie des années 1970-1980, avec, par exemple, une reprise de Un garçon pas comme les autres de Starmania (1978), l’opéra-rock de Michel Berger et Luc Plamondon. Et, en guise de réponse au problème posé par le spectacle, une chanson énergique scande ce qui « fait pédé » : de la GPA aux crop-tops, en passant par les IST… pour conclure que « tout est pédé.e » ! Une pièce engagée, qui aborde des questions politiques complexes avec douceur et légèreté.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Portraits détaillés, le trio
Concept et mise en scène Lucien Fradin
Ecriture et Interprétation Lucien Fradin, Lu Ottin, Pablo Albandea
Musique Lu Ottin
Vidéo Pablo Albandea
Vêtement Antonin Boyot Gellibert
Tableau Excel Pauline FouryProduction Compagnie La Ponctuelle
Coproduction Culture Commune, scène nationale du Bassin Minier, Le Vivat, scène conventionnée d’Armentières, La Manekine, scène intermédiaire, Pont-Sainte-Maxence, Scène Europe, Ville de Saint-Quentin.
Soutien CDN La Comédie de Béthune
Accueils en résidence La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc, La Manekine, scène intermédiaire des Hauts-de-France, Pays d’Oise et d’Halatte, Bain Public de Saint-Nazaire, Le Grand Bain, La Madelaine sous Montreuil.
Aide à la création de la Région des Hauts-de-FranceDurée : 1h05
Festival Off d’Avignon 2022
Théâtre du Train Bleu
du 8 au 27 juillet, à 19h20La Paillette, Rennes
le 15 décembre
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