Carnets de création (20/28). Tout ce fracas, dernière pièce de Sylvère Lamotte, devait être présentée au public en ce mois de février à La Maison de Nevers. Le chorégraphe ancien membre du GUID (Groupe Urbain d’Intervention Dansée), programme initié par le Ballet Preljocaj, qui a ensuite fondé sa compagnie Lamento en 2015 nous ouvre ses « carnets de création ».
Avec sa compagnie Lamento, Sylvère Lamotte met « l’expérience physique et relationnelle au cœur de sa pratique ». Ruines, chorégraphie primée, signera son envol. Sauvages ou L’écho d’un infini vont suivre. Son approche de la danse contact ainsi que son parcours d‘interprète repéré en font une personnalité à part dans le milieu. Tout ce fracas devrait être donné le 25 février à La Maison, la Scène conventionnée de Nevers. Mais sans spectateurs -si ce n’est des professionnels. « Je dois avouer être un peu perplexe et impatient en même temps de montrer pour la première fois cette pièce. Tout ce fracas a été créé pendant le confinement et tous nos rendez-vous avec le public pendant la création ont été annulés. C’est une sensation très bizarre de renouer avec un évènement presque normal » résume Sylvère Lamotte.
Tout ce fracas occupe une place singulière dans la trajectoire du chorégraphe. Désireux d’explorer le « corps en réhabilitation », il a fréquenté le milieu hospitalier des années durant. Comment se réapproprier son corps ? Comment faire avec les traumatismes de ce dernier ? Que peut la danse dans cet état ? Sylvère Lamotte, avec son équipe d’interprètes a poussé la porte d’établissements de soins. « C’est le point de départ de cette création. Récolter des récits de corps et explorer les notions de « corps empêchés » comme de résilience. Ces recherches dansées mêlaient le personnel soignant et les patients. Là était tout l’enjeu, partir de cas spécifiques pour aller vers une universalité. Tout ce fracas traite réellement de tous nos fracas. Les quatre interprètes au plateau sont à l’image de l’écosystème vertueux que j’ai pu trouver en centre de réhabilitation. Une interdépendance perpétuelle des corps qui œuvrent vers une libération ».
Danser la faille
Dans son propos le chorégraphe évoque également des corps « jamais seuls », toujours connectés. Un discours qui revient chez d’autres auteurs du mouvement ces temps-ci. Pour Lamotte « il y a avant tout un sentiment qui m’habite en tant que danseur. Ne jamais être seul. Toujours connecté à un environnement, un écosystème. J’ai plongé les danseuses dans différents processus d’écriture où les réponses se trouvaient ensemble. Avec des corps présents ou imaginés (en conscience), la notion de « contact » est une réalité pour moi. C’est une véritable question : est-on jamais seul ? »
Les interprètes Carla Diego, Caroline Jaubert et Magali Saby forment l’ossature de Tout ce fracas. « Ici la richesse de ces trois danseuses me saute aux yeux et c’est à travers l’architecture de leur corps que les fracas ont jailli. Dans un calme et une bienveillance permettant une mise à nue des mouvements ». Un musicien les accompagne sur scène, Stracho Temelkovski. Comme si corps et musique partageaient la même fréquence. Son expérience de danseur, de Paco Decina à Perrine Valli ou Alban Richard – sans oublier ses débuts dans le giron des Ballet Preljocaj avec Le Groupe Urbain d’Intervention Dansée – aura enrichi le chorégraphe qu’il est devenu. « Pour cette pièce j’ai souhaité procéder différemment, m’éloigner du plateau pour être au plus près des interprètes. De leurs chemins de corps et non de ma matière plus personnelle. Ce n’est donc pas en montrant que j’ai pu les aider mais plutôt en essayant de dépouiller leur mouvement. D’aligner l’image donnée à voir au monde avec l’instinct que j’avais de leur faille. Composer avec nos imperfections. Tenter de transcender la virtuosité technique par la virtuosité sensible. Danser la faille et chorégraphier nos brisures ». Sylvère Lamotte est un étonnant voyageur à sa façon.
Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
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