Chez elle, on parle occitan, on aime le travail bien fait et les amitiés véritables. Nelly Pulicani cartonne dans Sarrazine, assure la mise en scène de Cent mètre papillon et joue dans deux pièces de Julie Guichard. Une artiste qui enchaîne les collaborations fructueuses. À suivre, impérativement.
Une grande douceur émane de Nelly Pulicani lorsqu’elle pousse la porte du café-restaurant, à l’angle de la rue Simart, s’excusant presque d’être là. Ne vous y fiez pas : derrière ses airs de ne pas y toucher, on devine en creux un goût prononcé pour les marges, le borderline, les failles.
Originaires de Saint-Christol-lez-Alès, une petite ville du Gard, ses parents travaillent dans l’administration. Nelly Pulicani aime danser, mais un professeur de théâtre la remarque : elle sera comédienne.
L’amour de la mise en scène lui vient aussi de la caméra. Enfant, un caméscope à la main, elle enregistre tout « Je me mettais en scène entrain de jouer des personnages, je filmais ma famille. Ma mère râlait : « je n’ai rien à dire là, j’épluche des carottes! » »
Nelly Pulicani enchaîne un parcours de bonne élève : école supérieure d’art dramatique de Montpellier, puis l’ENSATT de Lyon. Elle y rencontre Julie Rossello-Rochet. Ce sera le point de départ d’une longue collaboration. Puis, elle monte à Paris et entre à la Comédie Française comme élève-comédienne. Elle achève sa formation au centre dramatique national de Tours.
A la sortie de l’école, elle fonde le collectif Colette avec 5 anciens élèves de la Comédie Française: ils créent et jouent Pauline à la plage, Presque l’Italie, Cent mètres papillon où Nelly Pulicani assure la mise en scène (le spectacle est nommé aux Molières de la révélation masculine en mars 2022). Elle joue également pour Alexis Armengol, dans Vilain : elle y interprète Zoé, une jeune orpheline ballottée de famille d’accueil en foyers, qui cherche sa place.
En parallèle, Nelly Pulicani débute des collaborations d’amitié avec des femmes de talent. Elle commande un texte à Julie Rossello-Rochet. Elle veut jouer « autre chose que des femmes pot-de-fleurs ». Ainsi naît Sarrazine en 2018, retraçant l’histoire rocambolesque d’Albertine Sarrazin, écrivaine, prostituée et prisonnière. Lucie Rébéré s’occupe de la mise en scène. « Albertine Sarrazin m’a permis d’avoir moins peur. À cette époque-là, avec Julie, on sortait de l’école et on avait les mêmes craintes : il fallait se lancer, il fallait que les gens nous aiment… Albertine, elle s’en fout, elle fonce. Peu importe ce qu’on pense d’elle. »
Nelly Pulicani partage avec Albertine Sarrazin un amour commun pour les Cévennes, ses paysages, ses couleurs. Ses aspects rugueux et âpres, aussi. « C’est très dur comme région. C’est un endroit où il faut être au travail pour avoir de la valeur. Et ça, ça me parle. »
Ce n’est pas anodin si sa première création, à l’ENSATT de Lyon, s’appuie sur le texte d’André Benedetto, Mémento Occitan. L’homme de théâtre y évoque son Occitanie natale. « C’est la première fois que je lisais un texte qui parlait de chez moi. J’avais l’impression que ça se connectait à moi. Quelque chose de très physique, lié à l’accent et à la langue. Il y a toute une partie du texte en occitan que ma mère m’a aidé à travailler. »
Le Sud, elle le porte jusque dans son accent, qu’elle n’hésite pas à faire monter sur scène. On lui a pourtant souvent demandé de le gommer, de jouer sans. « Il y a des gens qui me demandent pourquoi je prends l’accent du Sud sur scène. Mais c’est comme ça que je parle. »
Et pour la suite ? La mise en scène, encore. L’écriture, pourquoi pas. Nelly Pulicani lorgne gentiment du côté de la caméra. « J’ai tout le temps envie de filmer. Pendant le confinement j’ai filmé mon frère tous les jours. Ça pourrait être matière à un documentaire, un jour… »
Ce qui est certain, c’est que Lucie Rébéré et Julie Rosselo-Rochet ne sont jamais loin. Ensemble, elles vont adapter Le Grand marin, un roman de l’aventurière Catherine Poulain. Elle y incarnera Lily, une jeune femme un peu perdue qui s’enfuit vers le grand Nord, en Alaska, pour se faire embaucher sur des bateaux de pêche. La langue est âpre, l’héroïne indomptable. Dans la même veine que la fougueuse Albertine, dans la même veine que Zoé, le vilain petit canard moderne. « Ces figures se ressemblent, quand même. Il y a en effet un truc autour des marges, je crois » sourit Nelly Pulicani. Des rôles de caractère et de failles, à l’image de leur interprète.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Le palmarès de Fanny Imbert
Un spectacle qui m’a fait du bien : Derrière le hublot se cache parfois du linge (création collective Les Filles de Simone)
Un texte qui m’a émue : Vhan Olsen Dombo pour La Mer de Poséidon en caddie (mise en scène Audrey Bertrand)
Un comédien qui m’a fait pleurer : Jérémie Galiana dans Racine carré du verbe être (texte et mise en scène Wajdi Mouawad)
Une aventure qui m’a transportée : Le Nid de cendres (texte et mise en scène Simon Falguières)
Des masques qui m’ont fait rêver : La Tempesta (traduction et mise en scène Alessandro Serra)
Une super bande originale : Sans tambour (mise en scène Samuel Achache, direction musicale Florent Hubert)
Bravo mademoiselle ! Bonne continuation !
C’est en effet une comédienne exceptionnelle. Je suis ravi de voir un article sur elle dans SceneWeb !