Vidéaste et opératrice caméra, Margaux Vendassi collabore avec nombre d’artistes chorégraphiques ou dramatiques pour signer teasers et captations, de Marion Siéfert à Nina Santes. Portrait d’une cinéaste du plateau.
Publiée en décembre 2020, une étude (1) s’intéresse aux pratiques culturelles en temps de confinement. Concernant l’intérêt pour les captations de spectacles en ligne, le document ne relève pas tant une croissance globale de la découverte de ce type de propositions, qu’une nette augmentation de cette pratique chez les plus de soixante ans. L’étude n’aborde pas, en revanche, la démultiplication de l’offre en ligne proposée par les établissements culturels. Car c’est bien là, aussi, que se nichent les bouleversements à l’œuvre – dont on peut supposer qu’ils perdureront une fois la pandémie dépassée.
Il suffit, pour se convaincre de la vitalité actuelle du médium vidéo, comme de son inventivité, de rencontrer Margaux Vendassi. Depuis une dizaine d’années, la vidéaste et opératrice caméra réalise auprès d’artistes (Volmir Cordeiro, Maud Blandel, Sandra Iché, Nina Santes, Nacera Belaza, Maxime Kurvers, Anne-Lise Le Gac, etc.), de festivals (Festival Parallèle, Festival de Marseille) et de structures culturelles (le ZEF, scène nationale de Marseille, le Théâtre de la Commune – CDN d’Aubervilliers) un travail de création, signant captations, teasers et autres objets d’images animées.
Diplômée de l’École Supérieure des Beaux Arts de Marseille en 2008 et menant initialement un travail personnel en cinéma côté fiction, c’est par des rencontres et un peu de hasard qu’elle débute cette activité. « J’ai fait la connaissance de Lou Colombani, qui m’a proposé de documenter l’édition 2011 du festival Parallèle [dont elle est la directrice, ndlr]. Avec Lou s’est rapidement mis en place une entente sur le fait que j’avais le droit de ramener le cinéma dans cet espace. C’est définitivement la liberté qu’elle m’a donnée qui m’a permis de m’exprimer, de déployer ma recherche. Je suis obsédée par les images fixes. Le cinéma, c’est 24/25 images fixes par seconde. C’est l’illusion du mouvement. Alors se poser la question de filmer la danse, le mouvement, quand tu sais que tu filmes 25 images arrêtées, c’est un passionnant terrain de recherche… »
Car si la captation est d’abord – et le plus souvent – pensée comme un outil de travail, Margaux Vendassi y voit également la possibilité d’inventer pour chaque œuvre, chaque commande, un objet propre, prenant en compte les spécificités de son médium. « Rencontrer le milieu du spectacle vivant m’a amené à réaliser que je pouvais déporter le vocabulaire de la fiction sur le documentaire. » Cherchant à inventer un objet différent, qui tire « sur le terrain du cinéma les pensées du chorégraphe et metteur en scène », la vidéaste explique accumuler « le plus possible d’informations sur leurs projets, pour lancer dans l’image filmée une recherche sur leurs préoccupations. » Elle cite, à titre d’exemple, le spectacle Diverti Menti de l’artiste Maud Blandel. Pour celui-ci, la chorégraphe a travaillé à partir du Divertimento K.136 de Mozart, réorchestré pour trois solistes de l’Ensemble Contrechamps et un corps dansant. « Cette pièce explorant notamment le temps et s’intéressant à ce que signifie relire et réinterpréter, je l’ai filmée au ralenti. L’idée était de créer des aberrations de mouvements, qui amènent les personnes regardant la captation à la réinterpréter à leur tour. »
Ce travail soigné, articulé, qu’elle mène parfois en collaboration avec le vidéaste François Ségallou, s’invente dans un échange fertile avec les artistes, portant tant sur les lectures, les films que toutes les œuvres qui les nourrissent. Un dialogue qui impose une compréhension mutuelle. « Il y a des pièces qui me font quelque chose, avec lesquelles j’arrive à partager ce vocabulaire et d’autres, jamais. Mais tant mieux, cela laisse aussi la place à d’autres pour venir exprimer leur travail à un meilleur endroit que moi. »
On lui soumet alors l’hypothèse qu’il y aurait dans son geste quelque chose de l’ordre de la traduction : « Pour moi, c’est plus du reportage, à opposer au rapportage. C’est le geste de reporter quelque chose dans un autre espace, en changeant de références, d’échelles, de référentiels. C’est comme un vocabulaire partagé que tu mets en place sur un autre terrain, en l’organisant différemment. Ce serait les mêmes mots, mais dans une autre grammaire. »
Ce défi à chaque fois renouvelé l’a fait progressivement laisser de côté ses propres projets personnels. Cela sans regrets, Margaux Vendassi confiant volontiers « s’éclater. J’aime bien avoir ce fameux point de vue de reporter, avec la détente qu’il implique. Ne pas être initiatrice du projet m’apporte une tranquillité. Je m’expose moins. » Une position de distance, qui n’évacue pas la question, essentielle, d’avoir une histoire à raconter… « Tous les projets que je mène me permettent cela. Il s’y niche mon désir de dire quelque chose du monde. »
Si les confinements successifs ont donné une place centrale aux objets filmés, Margaux Vendassi reconnaît trouver plus aisément des oreilles attentives à sa démarche. « J’ai vu des artistes se poser de manière plus forte la question du sens d’un objet vidéo, là où auparavant ils le voyaient uniquement comme un outil de travail. Et pour moi, cela m’a permis de mieux me faire entendre. »
Elle continue donc, et après le Festival Parallèle début 2021, le festival documentaire Cinéma du Réel en mars, l’artiste se prépare à travailler, entre autres, avec la metteuse en scène Marion Siéfert dans les prochaines semaines. Autant de collaborations où elle expérimente de nouveaux champs, s’essayant notamment depuis quelques temps au live. Outre que « le cinéma en direct amène à penser différemment, ainsi qu’à dévoiler ce qu’est le cinéma lui-même – par les mouvements de caméra, la vitesse, etc. – », la vidéaste explique trouver là un autre rapport aux œuvres, la découverte simultanée permettant de « partager avec d’autres une même pensée, au même moment ». Et d’échanger ensuite sur celle-ci par d’autres canaux, en prolongeant le lien tissé.
Face à ceux craignant que l’explosion de ces usages ne provoque la disparition des spectacles joués en public, Margaux Vendassi oppose plutôt avec pertinence une addition des pratiques, rappelant, en d’autres temps, la crainte que la photographie naissante ne se substitue à la peinture. « Si cette pratique est juste, elle restera. S’il ne s’agit que d’une image de plus, cela ne sert à rien. Je vois cela comme une autre manière d’échanger, d’avancer. Et puis cette peur va contre la nature même de l’artiste : sa position est de créer du stable dans l’instabilité. Le changement fait partie de notre travail. » Et la vidéaste de citer, pour conclure, cette phrase du philosophe Henri Bergson tirée du teaser de l’édition 2021 du festival Parallèle (dont le texte a été réalisé par Catherine Giraud) : « l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire…»
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
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