Le bonheur (n’est pas toujours drôle) de Pierre Maillet se propose comme une vaste et réjouissante exploration de l’œuvre cinématographique de Rainer Werner Fassbinder.
Pierre Maillet n’a plus à prouver son affinité avec Fassbinder. Il a déjà monté bon nombre de pièces de théâtre et s’attaque désormais à l’oeuvre cinématographique du réalisateur allemand, en portant à la scène pas moins de trois scénarios de films mis bout à bout : Le Droit du plus fort, Maman Küsters s’en va au ciel, et Tous les autres s’appellent Ali, tous trois sortis au cours de l’année 1974-75.
Il faut reconnaître un net déséquilibre dans le traitement des trois opus. Si les deux premiers traînent un peu en longueur, le dernier se voit bien trop vite expédié à la fin des trois heures trente que compte le spectacle entracte compris. C’est dommage car c’est celui qui paraît pourtant le plus intéressant. Sa fable mal aimable narrant l’amour impossible car dérageant pour la bonne société d’une femme âgée et d’un jeune ouvrier émigré marocain est édifiante. Elle est tout ce que pourfendait Fassbinder à son époque, à savoir la petitesse, la médisance, la suffisance ordinaires.
Disparu à l’âge de 37 ans, l’enfant terrible du cinéma allemand n’a eu de cesse au cours d’une production aussi courte qu’intense (quelques quarante films en quinze ans) de dépeindre l’Allemagne de l’après-guerre, brocarder son esprit petit-bourgeois, ses valeurs éculées, hostiles, intolérantes et prendre partie pour les laissés pour compte, prolétaires, homosexuels, étrangers et autres « minorités ». L’adaptation théâtrale de son oeuvre par Pierre Maillet qui passe parfois pour trop légère fait néanmoins entendre toute l’acuité et l’actualité d’une pensée forte, subversive, qui lève les tabous et pointe les injustices du monde d’hier comme d’aujourd’hui. Sur le plateau, l’ambiance joyeuse et trépidante d’un cabaret flirtant avec le boulevard vivifie le propos de Fassbinder. L’excentricité l’emporte un peu trop sur la cruauté, la dureté, la violence des situations montrées.
Dix énergiques comédiens – dont plusieurs issus de l’École de la Comédie de Saint-Étienne – campent plus de 60 personnages et passent avec dextérité de l’un à l’autre. Dans un vertige permanent, ils changent de rôles comme de costumes, enfilent sans cesse une quantité invraisemblable de nippes et de perruques quand ils ne sont pas (trop souvent) dénudés. Pierre Maillet s’est offert le plaisir de restituer Fassbinder dans son jus et cultive une esthétique pop année 70 flamboyante.
Franz, jeune prostitué, amoureux naïf d’un bourgeois méprisant et profiteur, est interprété par Arthur Amard qui illumine la première partie du spectacle de sa juvénilité bondissante. Par la suite, Marilú Marini est absolument rayonnante. D’une justesse folle, elle fait rire et émeut au quart de tour. Même si le jeu est parfois forcé, le reste de la jeune équipe est à l’avenant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Bonheur (n’est pas toujours drôle)
Le droit du plus fort, Tous les autres s’appellent Ali, Maman Küsters s’en va au ciel
Trois scénarios de Rainer Werner Fassbinder
Mise en scène Pierre Maillet
Avec Arthur Amard, Valentin Clerc, Matthieu Cruciani, Alicia Devidal, Pierre Maillet, Marilú Marini, Simon Terrenoire, Elsa Verdon, Rachid Zanouda
Collaboration artistique Emilie Capliez et Fabien Spillmann
Textes français Alban Lefranc
Lumières Bruno Marsol
Son Pierre Routin
Costumes Zouzou Leyens
Perruques et maquillages Cécile Kretschmar
Scénographie Nicolas Marie
Régie générale Thomas Nicolle
Production (en cours)
Comédie de Caen-CDN de Normandie, Les Lucioles-Rennes, la Comédie de Saint-Etienne.
Avec le soutien du Manège/Maubeuge et du DIESE # Rhône-Alpes.Durée : 3h30
Le Monfort
du 3 au 11 juin 2022 à 19h30
dimanche et lundi à 16h
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