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Tristan et Isolde, une radicale mise à nu

A voir, Les critiques, Opéra, Rouen

© Marion Kerno et Corinne Thévenon

L’Opéra de Rouen Normandie offre un nouveau Tristan et Isolde de Wagner formellement audacieux et musicalement splendide à vivre comme une intense expérience sensorielle.

Pour les amoureux de l’œuvre de Wagner, Tristan et Isolde est désormais indissociable des images surréelles et méditatives du vidéaste et plasticien Bill Viola qui accompagnaient la mise en scène de Peter Sellars montrée pour la première fois à l’Opéra Bastille aux débuts des années 2000 et maintes fois reprise depuis sur cette même scène. Expérience pionnière en matière d’alliage entre l’opéra et le cinéma, cette version ouvrait une nouvelle voie narrative et interprétative consistant à ne pas illustrer les faits du récit mais plutôt suggérer un autre monde inspiré de l’écoute de la musique. Un même refus du réalisme et du psychologique, une même approche symboliste, un même désir d’explorer une dimension insondable et parallèle à l’action, caractérisent la proposition du cinéaste Philippe Grandrieux qui réalise sa première incursion dans l’univers de l’opéra en signant les lumières, la vidéo, la scénographie et la mise en scène de son spectacle. Créateur d’images fortes, il adopte un geste au caractère organique et immersif dans lequel les chanteurs et les images ne font qu’un. Sur scène comme à l’image, le corps est omniprésent, dans une nudité primale, à la fois surexposé et dissimulé, charnel et immatériel.

Le plateau dépouillé et plongé dans une opacité tenace donne à voir un espace vide, à la fois clos et infini, une sorte de néant où apparaissent et disparaissent les protagonistes telles des ombres errantes et solitaires. Dans la nuit noire et éternelle où trouvent refuge les héros wagnériens après s’être dérobés au jour, on devine parfois les silhouettes, encore moins les visages, des solistes qui s’apparentent à des fantômes ou des figures somnambuliques. Quasi-statuaire, leur présence scénique tient du vertige. D’ailleurs ils chutent, s’évanouissent, à répétition. Le geste est lent, économe, comateux, parfaitement maîtrisé même à peine perceptible derrière l’écran placé à la rampe.

Une étrange poésie extatique et mortifère se dégage du plateau où le corps d’une femme nue et frêle reste d’abord couché, alangui, puis se redresse inerte, hagard. en projection, la peau d’une blancheur laiteuse, les formes, la chair, l’intimité à vif, s’affichent et se diffractent  impudiquement maximalisées en gros plan. Un long et grand cri existentiel accompagne tout le premier acte. Une bouche grand ouverte, des yeux révulsés, font écho à la colère sourde et à la profonde détresse de l’imprécatrice Isolde. Ce même corps exulte de désirs sous d’incontrôlables spasmes et convulsions. Il s’adonne à une longue et frénétique séquence de masturbation à l’acte II, au centre duquel se joue le long duo d’amour extasié entre les deux protagonistes éponymes. C’est enfin un corps flottant puis inerte qui apparaît au sein d’une nature obscure et originelle qu dévoile la lumière de l’aube. Un capiteux paysage sylvestre a laissé place à une grève maritime qui accueille en son sein et libère les pulsions et l’inconscient d’Isolde.

Programmer une production artistique d’un tel degré de radicalité esthétique et dramaturgique à l’opéra passe forcément pour une prise de risque qui ne manque pas de courage. Contesté aux saluts, ce Tristan et Isolde exige du public une ouverture et un lâcher-prise nécessaires pour gagner le domaine des rêves et des sensations. C’est pourquoi le texte du livret n’est pas sur-titré. Un choix qui participe pleinement à la quête recherchée. Le spectateur est invité à s’engager dans la construction du sens au-delà des mots. L’œuvre ne se comprend que dans l’écoute vierge et sensiblement désintellectualisée de la musique devenue une matière purement émotionnelle.

Cette musique grandiose prend d’ailleurs toute sa dimension grâce à un plateau vocal et une exécution orchestrale sans faille. Les solistes réunis ne manquent ni de puissance ni d’endurance, ils donnent à entendre la pleine mesure de leurs moyens sans pour autant jamais forcer. Le beau Chœur accentus est placé en haut du balcon. Nicolai Erlsberg fait un roi Marke superbe de noblesse souveraine, Kurwenal (Cody Quattlebaum) et Brangäne (Sasha Cooke) sont de fidèles et émouvants serviteurs. Le duo central impressionne de vigueur et d’intelligence musicale. L’Isolde de Carla Filipic Holm possède une large voix, épanouie dans le médium, pure et sûre dans l’aigu, qui se permet des envolées de fureur comme de suaves accents élégiaques. Le Tristan incarné de Daniel Johansson possède toutes les qualités requises pour le rôle : la beauté du timbre, la souplesse et l’assurance de la ligne de chant, la qualité de l’expression toujours vaillante et vigoureuse. Son agonie stupéfiante d’aplomb happe l’auditeur avec ce qu’il faut de fièvre et de mesure. L’orchestre touche au sublime sous la direction du jeune chef Ben Glassberg qui abonde en vivacité haletante et en tension dramatique. De belles dynamiques et une formidable fluidité font baigner dans les climats changeants et chatoyantes, les textures et les couleurs sonores à la fois lumineuses ou saturniennes de la partition qui distille ses effluves et enivre comme un philtre magique.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Tristan et Isolde de Wagner
Opéra en trois actes
Livret de Richard Wagner
Créé à Munich en 1865
Direction musicale Ben Glassberg
Mise en scène, lumières, vidéo, scénographie, chorégraphie Philippe Grandrieux
Costumes An D’Huys

Tristan Daniel Johansson
Isolde Carla Filipic Holm
Brangäne Sasha Cooke
Le Roi Marke Nicolai Elsberg
Kurwenal Cody Quattlebaum
Melot Lancelot Lamotte
Un Berger / Un Jeune Marin Oliver Johnston
Un Timonier Ronan Airault

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Orchestre Régional de Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie

Coproduction Opera Ballet Vlaanderen, Opéra de Rouen Normandie

En raison de la durée du spectacle et de la sensualité des images, nous ne recommandons pas le spectacle aux personnes de moins de 16 ans.

Durée
5h avec deux entractes
En allemand (non surtitré)

Théâtre des Arts – Rouen
Samedi 15 juin 2024 à 18h00
Mardi 18 juin 2024 à 19h00
Samedi 22 juin 2024 à 18h00

18 juin 2024/par Christophe Candoni
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