En prise directe avec les prĂ©occupations de la jeunesse, lâurgence Ă©cologique et lâinertie collective, la piĂšce de David Paquet, mise en scĂšne par Philippe Cyr, nâassĂšne pas de solutions, mais Ă la question « Que faire ? » rĂ©pond par lâimagination. Ce spectacle Ă lâaccent quĂ©bĂ©cois, subtil et farfelu, au ton unique et mordant, est un mĂ©lange bien dosĂ© entre la rĂ©alitĂ© inquiĂ©tante des enjeux et lâhilaritĂ© quâelle provoque.
DâemblĂ©e, câest une scĂ©nographie qui pĂšse son poids dâhumour qui nous cueille Ă lâorĂ©e du spectacle. Un Ăźlot central cernĂ© par des bas-cĂŽtĂ©s remplis de balles, version scĂ©nique des piscines Ă balles rĂ©servĂ©es aux enfants. Ici, le plastique et lâartifice dominent : un faux palmier enguirlandĂ©, deux fauteuils de big boss pivotant en simili cuir sur lesquels deux Ă©nergumĂšnes en crocs, short et chemise hawaĂŻenne se prĂ©lassent en buvant des cocktails. Lâambiance est campĂ©e. Le dĂ©cor nâa rien dâun campus de lycĂ©e et pourtant câest dans le contexte scolaire que sâamorce la piĂšce de David Paquet. Une pĂ©pite qui se fait dâabord passer pour du divertissement second degrĂ© avant de rĂ©vĂ©ler sa dimension humaniste et sa bouleversante actualitĂ©.
La mise en scĂšne de Philippe Cyr Ă©pouse le ton de la piĂšce, mais nâillustre rien. Nul rĂ©alisme ici. Ce qui prime, câest la mĂ©taphore visuelle dâun monde en carton-pĂąte cultivant lâhĂ©donisme Ă tour de bras et pratiquant la politique de lâautruche face aux urgences, climatiques entre autres. Dans ce contexte criant oĂč les adultes ne sont pas Ă la hauteur de la situation, deux adolescents expulsent leur mal-ĂȘtre comme ils peuvent : Jeanne carbure Ă la colĂšre, Olivier aux cauchemars anxiogĂšnes. Il rĂȘve quâon lui offre pour son anniversaire la planĂšte morte. Cadeau qui en dit long sur lâhĂ©ritage dâune gĂ©nĂ©ration. Mais le directeur du lycĂ©e, une crapule qui dĂ©voilera par la suite ses failles et sa face cachĂ©e, leur offre lâopportunitĂ© de concourir Ă lâĂ©lection du reprĂ©sentant des Ă©lĂšves dans le cadre de la bien-nommĂ©e « Semaine du Futur ». Chacun prĂ©pare son discours pour faire pencher la balance en sa faveur ; chacun y va de sa nĂ©cessitĂ©, de sa sincĂ©ritĂ©, de sa luciditĂ© face Ă lâĂ©tat terrestre. Mais il faut croire que les meilleures intentions ne paient pas.
La piĂšce de David Paquet a ceci de rĂ©jouissant quâelle nous balade de bout en bout sur un tempo pĂ©taradant, jouant sur les registres de lâhumour autant que de lâĂ©motion, aussi touchante quâhilarante, adepte des punchlines qui font mouche, des formulations bien envoyĂ©es et des jurons propres Ă lâadolescence furibonde, qui crie son inadĂ©quation aux prĂ©occupations des adultes et tente vainement de sortir de lâimpasse promise par les prĂ©visions catastrophiques. Et si le rĂ©chauffement climatique est au cĆur des enjeux de ce spectacle brĂ»lant, les revendications de nos adolescents ne sâarrĂȘtent pas lĂ . Conscients de la crise migratoire, de la menace nuclĂ©aire, des violences policiĂšres, de lâimpunitĂ© des nantis et de tout ce qui gangrĂšne la beautĂ© de la planĂšte et le vivre-ensemble, ils partent en croisade Ă©lectorale, tantĂŽt croulant sous le poids de lâimpuissance et du dĂ©sespoir, tantĂŽt vaillants, sâaccrochant coĂ»te que coĂ»te Ă un optimisme contagieux. Au plateau, ils sont quatre Ă endosser tous les rĂŽles. Les deux jeunes (formidables Elisabeth Smith et Gabriel Szabo) sont les hĂ©ros et hĂ©roĂŻnes de cette satire mordante, tandis que GaĂ«tan Nadeau et Nathalie Claude alternent les figures pittoresques gravitant autour : le directeur, la mairesse, la psy, le thĂ©rapeute ou encore lâinĂ©narrable libraire saoule qui incite au vol notre Olivier en Ă©co-anxiĂ©tĂ©. Elle lui remet le livre qui le guidera dans sa mission, LâEncyclopĂ©die des savoirs inutiles.
Dans ce mĂ©li-mĂ©lo de sĂ©quences tragi-comiques un brin psychĂ©dĂ©liques, oĂč le rĂ©alisme de la situation planĂ©taire cĂŽtoie une intrigue fantaisiste et farfelue dans un dĂ©cor de Club Med, se dĂ©ploie la question fondamentale qui anime ce spectacle irrĂ©vĂ©rencieux : comment peser positivement sur le monde et faire pencher la balance du bon cĂŽtĂ© ? Comment avoir une influence sur le cours des choses et faire face Ă notre impuissance ? Jamais donneur de leçon, jamais plombant, Le Poids des fourmis avance sur le mode de la rĂ©sistance et de lâindignation, de la rĂ©bellion imaginative, de la crĂ©ativitĂ© forcenĂ©e et, last but not least, de la possibilitĂ© de sâinfluencer les uns les autres pour que se dĂ©ploient nos forces vives et nos vertus humanistes. Pour ne pas se laisser abattre et nous inciter Ă faire ce quâon peut avec les moyens du bord. Le monologue final est un sommet dâĂ©motion dans le miroir douloureux quâil nous tend, mais on sort de la reprĂ©sentation des couleurs plein les yeux, de lâespoir plein la tĂȘte et par-dessus le marchĂ© lâaccent quĂ©bĂ©cois dans les oreilles. Avec lâenvie dâen dĂ©coudre et de faire notre part.
Marie Plantin â www.sceneweb.fr
Le Poids des fourmis
Texte David Paquet
Mise en scĂšne Philippe Cyr
Avec Nathalie Claude, GaĂ©tan Nadeau, Ălisabeth Smith, Gabriel Szabo
Direction technique MĂ©lissa Perron
Assistance Vanessa Beaupré
Scénographie Odile Gamache
Costumes Ătienne RenĂ©-Contant
LumiĂšres CĂ©dric Delorme-Bouchard
Conception sonore Christophe Lamarche-Ledoux
Ăquipe technique en tournĂ©e Antoine Breton, FrĂ©dĂ©rick BĂ©langer, Catherine Dicaire, RĂ©becca Brouillard
Codirection artistique Mario Borges, Joachim TanguayDurée : 1h15
Vu le 24 juin 2024 au Théùtre Paris-Villette
Festival Off d’Avignon 2024
La Manufacture Patinoire
du 4 au 21 juillet (sauf les 10 et 17), de 10h Ă 12h05 (navette comprise)ScĂšne Nationale de Dieppe
le 18 mars 2025
LâEstive, ScĂšne Nationale de Foix
les 27 et 28 mars
Opéra Grand Avignon, via Le Totem
les 2 et 3 avrilThéùtre Am Stram Gram, Festival VIVA, GenÚve
du 10 au 12 avrilThéùtre de Langres
le 24 avrilLe Grand Bleu, Festival Youth is great, Lille
le 29 avril
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