Au Théâtre 14, le metteur en scène livre une version cruelle et féroce du chef d’œuvre de Marivaux, sans toutefois éviter l’écueil d’une mise en scène un brin trop appuyée.
En fond de scène, un mur de lierre. Cette liane arbustive, nuisible diront certains, bourreau des arbres dénonceront d’autres, n’a probablement pas été choisie au hasard par Philippe Calvario et son scénographe, Alain Lagarde. Le duo sait sans doute qu’elle se fait aussi appeler Hedera Helix. Deux mots dérivés du latin qui renvoient à l’idée d’une corde, ou d’une attache, enlacée à la façon d’une spirale. Dans cet espace scénique à la frontière entre le minéral et le végétal, difficile de trouver plante plus à propos pour symboliser la toxicité de cette double inconstance marivaudienne qui étreint progressivement Silvia et Arlequin, jusqu’à détruire leur amour.
Comme sortis d’un labyrinthe qu’ils ont eux-mêmes créé par le truchement de leur duperie machiavélique, le Prince et sa dévouée Flaminia se livrent à un jeu de massacres amoureux en bonne et due forme. D’emblée, Philippe Calvario tient d’ailleurs à souligner son parti-pris. Sans renoncer à ses côtés les plus comiques, il installe, dès les premières tirades, la cruauté multifacette de la pièce de Marivaux. Dans une ambiance noire, presque grave, les deux nobles semblent prêts à tout, chacun de leur côté, pour corrompre la droiture des cœurs de Silvia et Arlequin, et permettre au Prince d’épouser cette villageoise dont il est tombé amoureux. Leur apparente délectation devant cet implacable stratagème en vient même à soulever une interrogation : font-ils cela simplement par pur désir, ou également pour la beauté du geste destructeur ?
Grimée en sorcière, aux cheveux roux aussi bouclés qu’hirsutes, Sophie Tellier incarne le mieux cette duplicité des personnages, mus par des attitudes vénéneuses qui gangrènent et pervertissent peu à peu l’ensemble des relations. Sous l’impulsion de sa Flaminia, La Double Inconstance se transforme en un ersatz de conte maléfique, sorte de rite de passage, où les ruraux sont férocement mis à l’épreuve par des créatures quasi irréelles, et soumis au miroir aux alouettes de la condition nobiliaire. En face, comme son extrême opposé, y compris dans les costumes symboliques de Coline Ploquin, Maud Forget campe une Silvia moins naïve qu’à l’accoutumée, femme forte, terrienne, qui, presque malgré elle, cède face aux assauts de ces gens qui, parce qu’ils manient mieux la langue, les manières et l’intrigue qu’elle parviennent, non pas seulement à briser un couple, mais à réduire en miettes un amour qui semblait insubmersible.
Profitant des rebondissements de l’intrigue marivaudienne, Philippe Calvario ne semble toutefois, et étrangement, pas lui faire entièrement confiance. Comme dans les mauvais téléfilms, il accentue les tournants dramatiques avec de la musique cheap afin de renforcer la gravité d’un moment ou d’exciter la légèreté d’un autre. Superfétatoire, ce procédé leste le texte de Marivaux et donne l’impression d’une mise en scène appuyée, voire un brin didactique. Creuset des moments comiques, dans son art de montrer que tous jouent une immense comédie, sa direction d’acteurs – dont les compétences lyriques restent largement sous-exploitées – manque, à l’avenant et à intervalles réguliers, de finesse, et en vient à attaquer la crédibilité même du jeu de dupes sur lequel repose toute la pièce. Émerge, alors, une autre interrogation : comment Silvia et Arlequin ont-ils pu se laisser piéger par un stratagème aussi grossier ? La naïveté rurale s’arrêtant toujours là où le bon sens commence.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Double Inconstance
de Marivaux
Mise en scène, Philippe Calvario
Avec Luc-Emmanuel Betton, Maud Forget, Guillaume Sentou, Sophie Tellier, Alexiane Torres et, en alternance, Roger Contebardo et Philippe Calvario
Conseils dramaturgiques, Emanuele De Luca
Assistante à la mise en scène, Marlène Da Rocha
Scénographie, Alain Lagarde
Costumes, Coline Ploquin
Lumière, Bertrand Couderc
Son, Christian Chiappe et Guillaume Leglise
Coiffure, Pascal Jehant
Maquillage, Karine Gauthier-Vazquez
Production déléguée, Cie Saudade – Philippe Calvario ; Co-production, Scène nationale d’Albi, La Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc, Théâtre Montansier-Versailles, Le Pont des Arts – Cesson Sévigné
Avec le soutien de l’Adami, la Spedidam, du Centquatre-Paris et la participation artistique du Jeune Théâtre NationalDurée : 1h45
Théâtre 14, Paris
Du 5 mars au 20 avril 2019
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