« Quand Olivier Cruvelier et Paul Minthe m’ont dit qu’ils désiraient me lire une pièce sur un malade atteint de schizophrénie et son infirmier, j’avoue m’être méfié. Des textes se mêlant d’univers psychiatriques, j’en ai lu beaucoup, jalonnés de généralités, de poncifs en tout genre. Je suis donc allé à cette lecture en me préparant à être déçu, et à devoir trouver les mots pour rester délicat avec mes nouveaux camarades. Mais immédiatement, l’écriture de Tarantino m’a séduit, m’a convaincu. Par un travail très osé et très précis sur la forme, par l’invention d’une langue en vers pulsés, itératifs, celle du patient, répondant à une parole toute différente, en prose libre et rageuse, celle de l’infirmier. Il ne s’agit pas ici d’un texte sur la schizophrénie, et loin de nous la prétention de vouloir embrasser dans son entier un phénomène aussi complexe. Il s’agit d’abord d’un travail sur la langue. Tarantino, qui a beaucoup fréquenté les hôpitaux psychiatriques, écrit « à partir de », ou « à la place de », comme dirait Deleuze. J’imagine qu’il a été troublé, intrigué, remué, par le caractère si particulier de la parole de certains patients atteints de schizophrénie. Ces apparentes approximations grammaticales, ces ellipses, hiatus, sautes, coq-à-l’âne, cette structure contrapuntique où toutes les voix semblent se mêler et s’entrecroiser pour former une grande fresque, où le « je » devient multiple. Antonio Tarantino invente une langue qui prend en charge cette parole, qui avance par jets, par suite de traits toujours recommencés. On pense à nombre de tentatives qui ont traversé la poésie contemporaine, de l’écriture automatique des surréalistes aux structures itératives de Ghérassim Luca. On pense à certaines formes de free jazz américain, voire à certaines pièces de Steve Reich. C’est ce travail au coeur même de la langue qui sauve Tarantino d’un théâtre documentaire sur la folie. L’originalité de ce texte réside aussi dans sa structure : Tarantino aurait pu écrire un long soliloque de Moi-Lui, mais il a opté pour le duo, ce qui donne immédiatement un caractère clownesque au texte. ». Jean-Yves Ruf
« Passion selon Saint Jean » de Antonio Tarantino
traduit par Jean-Paul Manganaro
éditions Solitaires Intempestifs – 2006
mise en scène : Jean-Yves Ruf
avec Olivier Cruveiller
Paul Minthe
Scénographie : Laure Pichat
création lumières : Christian Dubet
création son : Jean-Damien Ratel
Durée : 1h15.
Du 26 mars au 16 avril
à 20h30
mercredi et jeudi à 19h30
dimanche à 16h
relâche lundi
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