Le Théâtre des Doms, dédié à la création en Belgique francophone, déploie deux pièces engagées et percutantes : Angles Morts et Marche Salope. Quand la première fait sonner le spoken word afro-féministe de Joëlle Sambi, accompagnée de la danseuse Kenza Deba et de la musicienne Sara Machine, la seconde déplie un conte sur la mémoire traumatique et les violences sexuelles, orchestré par la performeuse Céline Chariot.
Angles Morts de Joëlle Sambi
C’est un trio percutant avec, au centre, l’actrice Joëlle Sambi, micro à la main, et, à ses côtés, la krumpeuse ardente Kenza Deba et le mix électro entêtant de Sara Machine. En mots et en gestes, elles mènent un combat de boxe, comme l’évoque la présence d’un sac de frappe qui pend sur scène. Joëlle Sambi est « née le cul sur une frontière linguistique entre Bruxelles et Kinshasa », explique le dépliant distribué pendant le spectacle. Cette poétesse lesbienne et afro-féministe fait sonner dans son slam les contrôles d’identité au faciès, les violences policière ou l’hypocrisie d’une classe blanche dominante, pointant les défaillances du monde, patriarcal et colonial. À travers le poème décolonial Tokens, totems, tabous et un alphabet incisif qui revendiquent le « gouinistan » et invitent à « rendre l’argent », Joëlle Sambi nous touche en plein ventre. En alternance, se déploient les gestes de Kenza Deba, puissants, tranchants, émotifs, à l’instar des arm swings intenses du krump. Avec ferveur, les comparses remuent le passé colonial, exhortent à le regarder en face, portées par la chaleur galvanisante du groupe que Joëlle Sambi nomme sa « meute ».
Marche Salope de Céline Chariot
Comment faire avec la mémoire traumatique d’un viol ? Celle qui frappe à la porte des dizaines d’années plus tard, sans crier gare ? La performeuse et actrice Céline Chariot, face à nous, sans dire un mot, reconstitue, parfois équipée de gants en latex, ce qui doit être une scène de viol : une chambre avec au sol un matelas tâché de sang, un cendrier rempli, une tasse de café froide. Lors de ce rituel exécuté avec une minutie chirurgicale, un air naïf, du genre musique d’ascenseur, remplit la salle. Il devient l’écrin du dialogue entre deux femmes. La première décrit, avec une candeur démunie, des souvenirs qui la hantent et l’autre de rétorquer : « C’est normal, c’est la levée de ton amnésie traumatique Simone », avec une légèreté décalée. Manière de pointer, avec un humour grinçant, les manquements du système judiciaire et de la société pour reconnaître les victimes d’agressions sexuelles. Au fil de cette mise en scène délicate, Céline Chariot dispose des coquilles d’huître autour de la scène de crime ; puis, à l’aide d’un marteau, elle les explose d’un coup sec une à une, dans un grand fracas, à la manière des aigles qui les lâchent du ciel pour pouvoir les ouvrir et les manger. Une métaphore pour désigner celles et ceux qui sont agressés, à qui elle offre une rédemption poétique, en imaginant des huîtres violantes, comme une façon de les libérer.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Angles Morts
Textes et mise en scène Joëlle Sambi
Avec Joëlle Sambi, Sara Machine, Kenza Deba, et la voix de Bintou Touré
Assistanat à la mise en scène Margot Briand
Appui politique et poétique Milady Renoir
Dramaturgie Anne Festraets
Composition musicale et création sonore Magali Gruselle (Sara Machine)
Création et régie sonore Nicolas Pommier
Chorégraphie Hendrickx Ntela
Création lumière Ledicia Garcia et Laurence Halloy
Régie générale et lumière Véronique De Backer
Scénographie Christine Grégoire
Costumes Romane PaquayProduction MoDul & Solola Bien
Coproduction La Balsamine et L’ANCRE – Théâtre Royal, La Coop asbl, Shelter Prod
Avec le soutien du Théâtre des Doms, du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, des Lezarts Urbain, du Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Service théâtre, du service égalité des chances de la ville de Bruxelles, de la Région de Bruxelles-Capitale, de Wallonie-Bruxelles International, de la COCOF, de la SACD, de KLAP Maison pour la danse à Marseille, du Vieux Tournay, du Fonds de dotation féministe et lesbien, taxshelter.be, ING et du tax-shelter du gouvernement fédéral belgeDurée : 1h
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre des Doms
du 6 au 27 juillet, à 20h (relâche les 12 et 19)Marche Salope
Texte et interprétation Céline Chariot
Mise en scène Céline Chariot, Jean-Baptiste Szezot
Voix Anne-Marie Loop, Julie Remacle, Anja Tillberg
Création sonore Maxime Glaude
Création lumière Pierre Clément et Thibaut Beckers
Flûte Line Daenen
Artiste plasticienne Charlotte De Naeyer
Accessoires et costumes Marie-Hélène BalauProduction Festival de Liège
Avec le soutien du Collectif Co-legia de Prométhéa, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la Province de Liège, de Shanti Shanti asbl, du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, du Théâtre des Doms, de Wallonie Bruxelles Théâtre Danse, de FACTORY/Plateforme dédiée aux compagnies et artistes émergent·e·s.Durée : 50 minutes
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre des Doms
du 6 au 27 juillet, à 18h (relâche les 12 et 19)Maison de la Culture de Tournai
du 11 au 13 mars 2024Théâtre des Martyrs, Bruxelles
du 21 au 25 mai 2024
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