Ăcrit par Sonia Chiambretto et co-mis en scĂšne par cette derniĂšre et Yoann Thommerel, Paradis s’essaie Ă remettre en jeu dans un spectacle prĂ©cisĂ©ment pensĂ© dans son Ă©criture dramatique comme dramaturgique les places de chacun de ses personnages.
Cela dĂ©bute par l’entrĂ©e en scĂšne de Sonia Chiambretto. Tandis que l’artiste et poĂ©tesse prend place face Ă un pupitre avec micro, un dialogue en voix-off dĂ©roule une conversation avec un jeune homme Ă©voquant sa prĂ©sence en France, ainsi que les tortures du rĂ©gime de Bachar El Assad. Au plateau, Sonia Chiambretto Ă©coute avec attention et nous Ă©coutons avec elle. Puis, elle prĂ©sente succinctement (historiquement et gĂ©ographiquement) Manosque. Une ville moyenne sise dans le LubĂ©ron oĂč se tient chaque annĂ©e le festival littĂ©raire des Correspondances de Manosque. C’est au cours de ce raout accueillant pour une poignĂ©e de jours le gratin de la littĂ©rature qu’elle a rencontrĂ© Hilal, jeune garçon demandant l’asile politique en France.
Mais son exposĂ© croque aussi avec finesse et ironie le festival et les rituels qui le constituent. Soit la mise en scĂšne des auteurs pour ces rencontres â tel Matthias Enard installĂ© sur une estrade surplombant les spectateurs dans un fauteuil club avec une « fausse bibliothĂšque » derriĂšre lui. Il se dit dans la description prĂ©cise de ces dispositifs la maniĂšre dont le champ littĂ©raire entretient la figure imaginaire et mythologique de l’auteur, sa place, au risque de la facticitĂ©, autant que la façon dont les hiĂ©rarchies et dominations sont Ă lâĆuvre. Parce que si c’est Ă l’occasion de l’Ă©dition 2015 des Correspondances que Sonia rencontre Hilal, la question de la « correspondance » en tant que rapport entre des personnes est ici bien peu efficiente. Et Hilal a beau sollicitĂ© Ă plusieurs reprises un micro pour prendre la parole, Ă©videmment il n’y aura jamais accĂšs. Alors que Sonia Chiambretto demeure au micro durant tout le spectacle, ce n’est qu’Ă la fin de Paradis qu’Hilal, interprĂ©tĂ© par Rami Rkab, y accĂšde enfin. Pour autant, de correspondance, il y en aura bel et bien une : celle que l’artiste va Ă©tablir avec le jeune garçon. C’est cette rencontre et cette tentative de saisir l’histoire du jeune homme et de ses proches qu’embrasse Paradis.
Le spectacle se dĂ©plie dans un dispositif scĂ©nique sommaire : outre le micro et le pupitre Ă l’avant-scĂšne cĂŽtĂ© jardin, deux bancs et un Ă©cran, un palmier ainsi qu’une sculpture de lion sont lĂ pour tout dĂ©cor. L’Ă©trangetĂ© de ces deux derniers Ă©lĂ©ments pourra se lire comme un trait d’esprit, une maniĂšre d’opposer au simulacre du « dĂ©cor » accolĂ© Ă l’Ă©crivain un autre dĂ©cor, celui de ces rĂ©fugiĂ©s dont il est question. Non pas un lieu rĂ©el mais un espace imaginaire â teintĂ© d’exotisme ou d’orientalisme quand ce n’est pas carrĂ©ment de colonialisme â renvoyant aux fantasmes projetĂ©s sur leur pays d’origine.
NarrĂ© au style indirect par Sonia Chiambretto, le rĂ©cit dĂ©taille les rendez-vous avec Hilal et ceux qu’il cĂŽtoie. Le dĂ©sir de comprendre ce qui animait le jeune homme devient le moteur des Ă©changes tout comme la nĂ©cessitĂ© de traduire une vidĂ©o qu’Hilal fait dĂ©couvrir Ă Sonia. Soit une harangue prononcĂ©e par son grand frĂšre dans une mosquĂ©e et qui lui vaut aujourd’hui d’ĂȘtre demandeur d’asile.
Au fil des dialogues et croisements entre les personnages, c’est Ă une dĂ©construction des clichĂ©s et reprĂ©sentations imaginaires que le spectacle s’attaque. Par petites touches, les prises de parole de Nathan le professeur d’histoire, de la jeune rĂ©volutionnaire libanaise serveuse dans un restaurant, ou, encore, de Fadi le cousin d’Hilal, dessinent toute la complexitĂ© de situations d’exil. Ainsi que le dĂ©sir de comprendre l’autre, comme l’Ă©noncent les diverses traductions du discours du frĂšre d’Hilal qui ponctuent le spectacle.
Quoique ramassĂ© dans son propos, Paradis dessine nĂ©anmoins dans sa structure littĂ©raire mĂȘme les gouffres sĂ©parant les diffĂ©rents protagonistes. Au style indirect de Sonia Chiambretto rĂ©pond le jeu incarnĂ© de Nathan et Fadi â interprĂ©tĂ©s respectivement par Marcial Di Fonzo Bo (acteur, metteur en scĂšne et directeur de la ComĂ©die de Caen) et Pierre Maillet (acteur et metteur en scĂšne) tous deux compagnons de route de longue date â et celui plus frontal, tels des tĂ©moins, des jeunes Ada Harb (actrice franco-libanaise) et Rami Rkab (comĂ©dien syrien)
Intelligent dans sa mise en scĂšne et passionnant par sa maniĂšre subtile de signaler comment chaque rencontre achoppe pour partie sur des bĂ©ances d’autant plus accentuĂ©es lorsque la question de la traduction rentre en jeu, Paradis laisse nĂ©anmoins au soir de sa premiĂšre un sentiment d’inachevĂ©. Outre que la sĂ©quence de rencontres avec les tĂ©moins de JĂ©hovah et les Ă©changes qui s’ensuivent peinent Ă convaincre, les comĂ©diens se sont rĂ©vĂ©lĂ©s pour certains encore un peu fragiles dans leur maĂźtrise de leurs rĂŽles. Souhaitons qu’au fil des reprĂ©sentations le spectacle trouve son rythme et acquiert la densitĂ© nĂ©cessaire, apte Ă donner toute la puissance Ă cette polyphonie de voix, de positions et d’adresses.
Caroline ChĂątelet – www.sceneweb.fr
Paradis
Texte Sonia Chiambretto
Mise en scĂšne Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel
Avec Sonia Chiambretto, Marcial Di Fonzo Bo, Ada Harb, Pierre Maillet, Rami RkabProduction Le Premier Ă©pisode
Coproduction ThĂ©Ăątre Ouvert â Centre National des Dramaturgies Contemporaines, La ComĂ©die de Caen â CDN de Normandie Soutien : MC93 â Maison de la culture de Seine-Saint Denis Bobigny.DurĂ©e: 1h
Théùtre Ouvert
DU 25 AU 27 MAI 2021 Ă 19H
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?NâhĂ©sitez pas Ă contribuer !