Palmyra, si j’avais un marteau…
Spectacle tout en équilibres instables et dynamiques. Palmyra révèle un duo de performers aux recettes aussi simples que personnelles dans une hilarante variation sur la cruauté instinctive qui régit notre rapport à l’autre.
Ils feront sans nul doute sensation dans cette édition du festival off d’Avignon. Bert and Nasi, Bertrand Lescat et Nasi Voutsas. Le premier est français, le second anglais d’origine grecque. Ils se sont rencontrés en 2015 et créent depuis des spectacles performances de peu de moyens et de peu de mots, dont ce Palmyra qui a déjà connu un franc succès du côté du festival d’Edimbourg.
Il faut dire qu’ils ont leur style bien à eux, ces deux-là. Une dramaturgie à la fois instable et calée, un sens de l’humour à froid irrésistible et l’art d’ouvrir à coup de subtiles interactions de multiples pistes de réflexion. Palmyra doit son nom à la ville syrienne dans laquelle l’État Islamique en 2015 détruisit de nombreuses œuvres d’art, dont le fameux lion de Palmyre. La référence n’est pas indispensable. Même si tout commence par une assiette cassée. Car ce qui est en jeu, c’est bien la violence des rapports humains à commencer par celle qui s’en donne à cœur joie dans les guerres. Mais tout autant celle qui peut s’épanouir dans les rapports professionnels, amoureux, amicaux, sociaux. En somme, celle qui imprègne notre rapport à l’autre.
Tout commence pourtant bien. Sur du Purcell et des planches à roulettes, les deux performeurs s’entrecroisent dans de cocasses glissades et se lancent dans une danse improbable. Mais très vite des conflits naissent – comme dans la vie, dont l’origine est difficile à précisément identifier – et petit à petit, les choses s’enveniment. Assiettes cassées, chaises qui s’entrechoquent, empoignade, bagarre jusqu’à cette fameuse scène du marteau. Mais n’en disons pas plus.
Le travail de nos deux performeurs est largement visuel, esthétiquement léché, en même temps qu’il use des ficelles simples et ô combien périlleuses de l’interactivité avec le public. Bert et son air faussement naïf verse dans la manipulation. Nasi, impassible passif serait-il vraiment le fou que son comparse décrit. Dans cette histoire, qui faut-il soutenir ? Pris à parti malgré lui, mais pour son plus grand plaisir, comme des amis dans la dispute d’un couple, le public assiste avant tout au spectacle de la spirale d’un conflit qu’il échouera à arrêter.
Le tout se déroule sans mot ou presque, dont cet inénarrable « God only knows what I’d be without ou » (Dieu seul sait ce que je serais sans toi). C’est drôle, à éclater de rire par moments, fin, toujours surprenant, beau aussi. C’est le plaisir de l’art de la performance, du jeu sur un fil, de la sensation que tout peut basculer, de la construction d’un sens qui se renouvelle tout le temps. Palmyra c’est un spectacle à part, d’une délicieuse cruauté.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Palmyra
Avec Bertrand Lesca, Nasi Voutsas
Dramaturgie Louise Stephens
Lumière Jo Palmer
Photos Alex BrennerProduction
Farnham Maltings
Prix Total Theatre au Fringe Festival d’Edimbourg
Grand Prix du Jury au Fringe Festival de Stockholm
Prix du Jury, FITT Festival de Tarragona
Prix du Festival Européen de BirminghamOff 2021
La Manufacture
du 7 au 25 juillet – jours impairs – Relâche : 19 juillet
à 12h40
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