A la Monnaie de Bruxelles, une nouvelle production musicalement magnifique de Lohengrin de Wagner est mise en scène par Olivier Py qui tend à démontrer la thèse selon laquelle le romantisme allemand porte en germes l’idéologie nazie.
L’impressionnante architecture noire et circulaire de Pierre-André Weitz est celle d’un théâtre décati qui tourne sur lui-même pour mieux donner à voir les traces de bombardements sur ses murs et ses loges balafrés. Loin de la légende médiévale du chevalier au cygne dont seules quelques plumes blanches ont résisté, le Lohengrin d’Olivier Py se situe dans l' »Allemagne année zéro » telle que Rossellini l’a nommée, sous les ruines d’un monde défait et éteint qui doit se relever. Si le fantôme de Gottfried occupe le terrain sous la forme d’une jeune tête blonde immaculée, tous les personnages s’apparentent à des revenants en entrant par les dessous du plateau. Un chœur de femmes se présente comme une poignante évocation des Trümmerfrauen, portant en ligne les seaux lourds des décombres du pays.
On ne compte plus les mises en scène ayant assimilé l’œuvre wagnérienne à l’idéologie nazie. Sous couvert d’érudition et à force de se vouloir intéressant, Olivier Py cumule de manière parfois confuse et surtout grandiloquente les références à la culture germanique. Bien sûr Goethe se rencontre partout dans l’œuvre de Wagner et Novalis en fut un inspirateur comme l’art classique et hellénistique d’où la présence scénique de ces figures et ces motifs entre autres topoï, culte de la virilité propre à l’iconographie fasciste et de la nature robuste et ombragée (pleine lune, monts et forêts à la Kaspar David Friedrich). Il est évident que Wagner appartient au mythe et à sa propre mythification, que le révolutionnaire, lui-même émeutier lors des mouvements populaires à Dresde en 1848, était aussi un nationaliste chauvin. Riche en idées plus qu’en théâtre, la mise en scène, finalement inexistante, s’attarde sur sa démonstration mais en oublie la fable. Dans cette représentation sinistre car sans espoir de l’opéra, Lohengrin s’écarte de la figure messianique d’un héros salvateur. Moins porteur d’un monde nouveau, il endosse la lourde étoffe d’un révélateur de l’échec des utopies unificatrices.
Enfin une lueur lumineuse dans ce sombre chaos : l’orchestre est un réel enchantement. Il est tenu d’une main de Maître par son directeur musical, Alain Altinoglu qui a déjà dirigé l’œuvre dans le mythique théâtre de Bayreuth, offrant dès le prélude magique et jusqu’à la conclusion une densité dramatique bouillonnante, soulignant plein de détails musicaux pour rendre compte avec raffinement de la poésie douloureuse et céleste comme de l’urgence frénétique de la partition flamboyante. Les chœurs sont excellents comme les solistes réunis. Sans manquer de couleur et de projection, Eric Cutler possède une voix douce et claire et campe un Lohengrin dont la qualité première est la finesse d’un chant solaire, l’Elsa d’Ingela Brimberg non sans douceur est aussi combative et bouleversante, le couple maléfique est dominé par L’Ortrud puissante d’Elena Pankratova, Gabor Bretz est un roi solide d’autorité à la tête d’un royaume politiquement, culturellement, déliquescent.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Lohengrin de Wagner
Direction musicale ALAIN ALTINOGLU
Mise en scène OLIVIER PYDécors et costumes PIERRE-ANDRÉ WEITZ
Éclairages BERTRAND KILLY
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANIHeinrich der Vogler GABOR BRETZ
Lohengrin ERIC CUTLER
BRYAN REGISTER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Elsa von Brabant INGELA BRIMBERG
MEAGAN MILLER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Friedrich von Telramund ANDREW FOSTER-WILLIAMS
THOMAS JESATKO (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Ortrud ELENA PANKRATOVA
SABINE HOGREFE (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Heerrufer WERNER VAN MECHELEN
Vier Brabantische Edle ZENO POPESCU
WILLEM VAN DER HEYDEN
KURT GYSEN
BERTRAND DUBY
Edelknaben RAPHAËLE GREEN
ISABELLE JACQUES
VIRGINIE LÉONARD
LISA WILLEMSOrchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
ProductionLA MONNAIE / DE MUNT
Co-productionOPERA AUSTRALIA, THÉÂTRE DU CAPITOLE (TOULOUSE)
Durée
environ 4h30 (avec deux entractes)*
Diffusion sur Arte Concert le 26 avril 2018La Monnaie à Bruxelles
19.04.2018 – 06.05.2018
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