Répondant à la commande de la nouvelle directrice du TNG, Odile Grosset-Grange, Baptiste Amann décortique, en trois étapes, la fabrique du mensonge à hauteur de pré-ados, et démontre comment les adultes emprisonnent les plus petits dans leurs croyances archétypales.
À croire que les adultes que nous sommes manquent profondément d’imagination. C’est d’ailleurs ce qu’énonce le prologue personnifié de Boule de neige, assis sur le rebord de la scène : « À moi d’ouvrir l’imaginaire ». Un flocon ajouté à un flocon ajouté à un flocon… et voici une boule de neige « énorme ». Derrière cette métaphore se cache un fait divers fictif qui s’est déroulé entre trois enfants, le jour de la rentrée en 6e. 48 heures plus tard, tous les corps de la société s’en sont mêlés et l’émotion collective ne permet plus de distinguer quoi que ce soit de tangible. Vite, il faut rassurer les parents, répondre aux syndicats, accueillir le ministre et peut-être aussi écouter les enfants, si on a le temps. Dans cette cohue, il est plus simple que chacune et chacun plaque ses convictions déjà établies sur ce nœud gordien, quitte à dériver vers le mensonge et les élucubrations. Au moins, ça rassure, puisque c’est rationnel.
Or, la vérité ne l’est pas toujours. Baptiste Amann, tout juste auréolé du Grand Prix de Littérature dramatique d’Artcena pour Lieux communs, a toujours aimé observer les rouages de la société et comment les humains essaient de ne pas être des pions bringuebalés dans un système cadenassé. Dans sa trilogie Des territoires, il embrassait l’histoire de France et tentait, en force, de sauver ses personnages, écrasés par ce dont ils héritaient et au travers desquels il abordait tant et trop de thématiques, inévitablement parfois didactiques. C’est donc une bonne nouvelle qu’il travaille à destination du jeune public, car cela le contraint à resserrer ses sujets, et cette forme très explicative trouve son intérêt auprès d’un public jeune, dès dix ans ici. C’est la deuxième fois qu’il s’adresse à cette tranche d’âge après Jamais dormir en 2022 (dès huit ans).
Sujet de la commande de la metteuse Odile Grosset-Grange : qu’est-ce que la vérité ? Et comment elle a pu devenir une notion relative. Du point de vue des cadres du collège (professeurs et principale), puis des parents d’élèves et enfin des protagonistes eux-mêmes, les enfants, le récit joue habilement et implacablement du resserrement de l’intrigue, et donc de l’approche de la vérité, tant d’un point de vue temporel que narratif dans trois espaces différents – la salle des profs, l’appartement des parents d’un enfant, puis la cantine du collège. Non, la trace superficielle de cutter derrière l’oreille de Camille ne résulte pas de l’agression de sa camarade, coupable facile puisqu’elle n’est pas la plus stable de la classe ni la plus choyée – euphémisme. Baptiste Amann déplie cette histoire qui, dans les coins, est entachée de la violence d’un père et des thèses complotistes qui se déversent à travers les réseaux sociaux. Astucieusement, et très justement à en croire les acquiescements de la salle en ce jour de séance dédiée au public scolaire, l’auteur ponctue son texte de références à ces pré-ados – culture kawaii, jeu dangereux du petit pont massacreur ou le challenge du « rêve indien » qui a remplacé le jeu du foulard, celui de la virgule, démonstration à l’appui.
Les adultes, pris dans un flot d’informations non vérifiées et difficilement vérifiables, préfèrent disserter du processus de décaféination et du nouveau papier peint du salon plutôt que de disséquer leurs émotions et de déconstruire les faits rapportés. Le didactisme fonctionne dans les deux sens : aux enfants sont exposés les maléfices des théories du complot et du harcèlement ; aux adultes sont précisés la nature des jeux dangereux des enfants et les contenus nocifs de TikTok, ce qui anime leurs progénitures en leur absence. Les trois comédiens, François Chary, Lucile Dirand et Katell Jan, endossent chacun a minima trois rôles en restant parfaitement crédibles dans la mise en scène énergique d’Odile Grosset-Grange. Si les nappes sonores appuient inutilement le propos – notamment dans le prologue –, le travail sur la lumière, et particulièrement le jeu avec les néons, accompagne avec vigueur les protagonistes dans ce parcours sur un terrain inflammable, astucieusement adouci par cet élément qui donne partiellement son titre au spectacle et tombe sur le plateau : la neige.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Boule de neige
Texte Baptiste Amann
Mise en scène Odile Grosset-Grange
Avec François Chary, Lucile Dirand, Katell Jan
Assistant à la mise en scène Carles Romero-Vidal
Régie générale de création Farid Laroussi
Régie générale des productions du TNG Stephen Vernay
Scénographie Cerise Guyon
Création lumière et régie générale de tournée Erwan Tassel
Création son et musique Vincent Hulot
Costumes Séverine ThiebaultProduction La Compagnie de Louise
Coproduction MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale, Tréteaux de France – CDN, Théâtre de
Sartrouville et des Yvelines – CDN, Le Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
Accueil et soutien en résidence Tréteaux de France – CDN, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, Le Théâtre d’Angoulême – Scène nationale, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationaleLa Compagnie de Louise est soutenue pour son projet par La Ville de La Rochelle, Le Département de la Charente-Maritime, La Région Nouvelle-Aquitaine et le ministère de la Culture – DRAC site de Poitiers.
Durée : 1h
À partir de 10 ansVu en novembre 2025 à la MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN
du 27 au 29 novembreThéâtre d’Angoulême – Scène nationale
les 9 et 10 décembreL’Archipel, Fouesnant, dans le cadre du Festival Théâtre À Tout Âge
les 15 et 16 décembreLa Maison du Théâtre, Brest
les 18 et 19 décembreComédie de Béthune, CDN Hauts-de-France (en itinérance)
du 21 au 30 janvier 2026La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
les 12 et 13 marsL’Agora, Billère
le 31 marsThéâtre Ducourneau, Agen
les 2 et 3 avril


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