Au Théâtre Vidy-Lausanne, lae chorégraphe et interprète d’origine brésilienne livre un solo magnétique qui révèle l’influence des gestes du passé dans la construction et la formation de ceux du présent, et du futur.
Sweat noir, capuche sur la tête, longs cheveux bleus qui recouvrent son visage, l’être qui apparaît sur l’immense plateau du studio de répétition du Théâtre Vidy-Lausanne, et ouvre l’Ode de Catol Teixeira, a, pour nous, comme un air de déjà-vu. Grâce à l’une de ces expériences de réminiscence auxquelles le spectacle vivant ouvre parfois la voie, iel fait immédiatement écho à la créature cousine du faune de Nijinski à laquelle lae chorégraphe et interprète d’origine brésilienne, installé·e·x depuis quelques années en Suisse, où iel a été formé·e·x en danse contemporaine à La Manufacture de Lausanne, avait donné vie dans Clashes Licking, présenté aux Hivernales en juillet 2023, dans le cadre du Festival Off d’Avignon. Passant par-dessus bord les gestes habituels de la danse classique – à laquelle iel a également été formé·e·x –, Catol Texeira leur préférait alors des mouvements à l’ascendance plus animale, plus primitive. Et l’artiste semble ici réinvestir une gestuelle similaire et se réapproprier son propre héritage en progressant, à tâtons, avec une prudence matinée d’assurance, au coeur de ce dispositif bi-frontal, exposé·e·x à ces regards qui lae scrutent de tous côtés, captivés par cette présence singulière.
Bientôt, lae performeur·euse·x se débarrasse de ses attributs vestimentaires et capillaires pour ne conserver qu’un short noir, et découvrir sa tête minutieusement rasée en même temps que son corps queer, non-binaire transmasculin, qu’iel ne cesse depuis ses débuts de mettre en scène comme zone de passage, de transition, de transmission. Porté par la fascinante et hypnotique création musicale de Mbé et Luisa Lemgruber, Ode peut alors entrer dans le vif de son sujet et Catol Teixeira pénétrer dans cette zone grise, si particulière et si féconde, entre ruptures et continuité, à la manière d’un archéologue de sa propre danse qui réactiverait les gestes du passé pour mieux s’en nourrir, les dépasser, et construire ceux du présent. Tout comme les nappes sonores qui lui servent de support, et se nourrissent d’infimes variations qui, assemblées, de proche en proche, donnent naissance à des virages musicaux nouveaux, l’artiste enchaîne des fragments de mouvements venus dans ses anciennes créations – citons notamment La Peau Entre Les Doigts et Arrebentação – zona de derrama last chapter –, mais aussi des danses urbaines et des danses profanes. Grâce à la fluidité par laquelle ils sont sous-tendus, tous semblent procéder les uns des autres, être engendrés les uns par les autres, pour mieux aller au-delà les uns des autres.
Traduisant chorégraphiquement l’aspect (faussement) répétitif de la composition musicale de Mbé et Luisa Lemgruber, Catol Texeira se laisse alors aller à de grands tours de piste circulaires, parfois brisés par des traversées dans la diagonale du plateau, où la reproduction du même mouvement n’est que le creuset de la formation d’un nouveau, où chaque geste semble contenir, tout à la fois, la trace de ce qu’il a été et le potentiel ce qu’il pourrait devenir. Hypnotique, la performance se fait magnétique grâce à l’intensité de la présence de l’interprète et au rapport qu’iel entretient avec ses spectateur·rices. Explorant déjà cette porosité avec le public dans La Peau Entre Les Doigts, Catol Teixeira renouvelle son expérience et n’hésite pas à aller chercher le regard de chacun·e avec ses yeux noirs, profonds, perçants. À la lisière des temporalités et des styles, Ode s’impose aussi à la conjonction des genres, entre tristesse sombre, colère froide et joie rentrée, et lorsque Catol Teixeira, en guise de dernier mouvement, enfile un baudrier pour se suspendre à un fil, il bascule dans le registre de l’émotion naturelle, provoquée par l’hommage aux techniques du cirque aérien d’où iel provient. Façon pour iel, peut-être, de regarder une dernière fois en arrière, de mesurer, au gré des gestes accomplis, le chemin parcouru et de se projeter vers l’avenir.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ode
Concept, chorégraphie, performance Catol Teixeira
Conversation artistique avec la poète Gabriela Perigo
Musique Mbé, Luisa Lemgruber
Tissus Barbara Tavares, Catol Teixeira
Lumière Catol Teixeira, Gautier Teuscher
Costume Auguste de BoursettyRésidence Espaço do tempo
Avec le support de SIS – Fondation suisse des artistes interprètes
Coproduction Théâtre Vidy-LausanneDurée : 50 minutes
Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), dans le cadre de Tempo Forte
du 15 au 24 mai 2025Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes, Espace Pasolini, dans le cadre du NEXT Festival
du 27 au 29 novembre
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