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« Occupations » : les métamorphoses amoureuses de Séverine Chavrier

A voir, Gennevilliers, Les critiques, Montpellier, Théâtre
Séverine Chavrier crée Occupations à La Comédie de Genève
Séverine Chavrier crée Occupations à La Comédie de Genève

Photo Zoé Aubry

Au long de sa dernière création présentée à la Comédie de Genève, la metteuse en scène Séverine Chavrier met en regard les modes amoureux d’hier et d’aujourd’hui et révèle, à l’aide d’une ébouriffante et stimulante construction fragmentaire, l’ampleur de la révolution actuellement à l’oeuvre, avec son lot de violence, de brutalité, de déréliction, mais aussi de promesses.

Ajouter un « s » final à un concept et voir comment il se fracture, se diffracte et se ramifie, comment il s’adapte aussi, et ainsi, à la réalité d’aujourd’hui plutôt que de décrire ce qui, au fil du temps, est devenu une image d’Épinal, comment il se conforme aussi, et ainsi, à la diversité et à la pluralité des parcours de vie, qui tendent désormais à affirmer leur singularité plutôt que de vouloir, à tout prix, se couler dans un moule, reproduire un schéma, s’enfermer dans un carcan. Au coeur de cette logique d’expérience laborantine, le pluriel utilisé par Séverine Chavrier dans le titre de sa dernière création, Occupations, présentée à la Comédie de Genève qu’elle dirige – non sans avoir connu certaines turbulences au cours des dernières semaines –, semble répondre au singulier retenu par Annie Ernaux pour son livre L’Occupation. Dans ce très court roman de moins de 100 pages paru en 2002, la Nobel de littérature déplie l’obsession qu’elle a nourrie à l’endroit de la nouvelle compagne d’un ancien amant. « Cette femme emplissait ma tête, ma poitrine et mon ventre, elle m’accompagnait partout, me dictait mes émotions, écrit-elle. En même temps, cette présence ininterrompue me faisait vivre intensément. Elle provoquait des mouvements intérieurs que je n’avais jamais connus, déployait en moi une énergie, des ressources d’invention dont je ne me croyais pas capable, me maintenait dans une fiévreuse et constante activité. J’étais, au double sens du terme, occupée. » Cette jalousie, quasi maladive, couplée à la confession « Mon premier geste en m’éveillant était de saisir son sexe dressé par le sommeil et de rester ainsi, comme agrippée à une branche. Je pensais, ‘tant que je tiens cela, je ne suis pas perdue dans le monde’ » couchée sur le papier quelques lignes plus tôt, brosse le portrait d’une femme d’une autre ère, toute entière dévouée à celui qu’elle a aimé, qui n’existerait que par et pour lui, et par et pour son amour, y compris lorsque la relation – à laquelle Ernaux avait elle-même mis fin – s’interrompt. Sans commune mesure, donc, avec ce que l’immense majorité des femmes d’aujourd’hui, à l’heure du post-#MeToo, attendent d’une histoire. Et c’est cet écart que Séverine Chavrier entend non pas seulement révéler, mais bien sonder.

Ces ruptures générationnelles et ces métamorphoses sentimentales, la metteuse en scène les matérialise d’entrée de jeu. Soumis à des filtres vidéo, dits de « morphing », notamment célèbres sur les applications comme TikTok ou Snapchat pour vieillir, « embellir » ou animer les visages, les comédiennes et les comédiens incarnent quatre figures venues d’époques amoureuses distinctes : le grand-père et la grand-mère, toujours en couple, qui discutent tant bien que mal en visio avec l’un de leurs petits-enfants ; le père, divorcé, lui, qui indique à sa progéniture, toujours par vidéo interposée, que sa nouvelle compagne va investir sa chambre d’enfant avec ses affaires ; et le jeune, à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte, qui croit se présenter sous son meilleur jour en lissant, jusqu’à l’excès, les traits de son minois et en l’agrémentant d’un maquillage numérique douteux. En un tableau, diffracté, lui aussi, en plusieurs images, Séverine Chavrier pose le cadre de ces modes amoureux qu’elle s’apprête à mettre en regard et à ausculter, à commencer par le dernier, celui de la nouvelle génération, ou plutôt ceux tant, à l’épreuve des planches comme des faits, ils apparaissent nombreux et divers.

S’ouvre alors un maelstrom, en forme de tourbillon scénique, où des fragments venus de tout côté, s’entrechoquent et se succèdent : des fragments littéraires, projetés ou prononcés, d’horizons divers, extraits notamment des livres d’Annie Ernaux (L’Occupation, Les Années, Passion simple), de Paul B. Preciado (Pornotopie, Un appartement sur Uranus), du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, du Regard féminin d’Iris Brey, du Manifeste cyborg de Donna Haraway ou de La Sexualité des paresseuses d’Anita Naik, pour ne citer qu’eux ; des fragments scéniques, sous la forme de capsules vidéo individuelles ou de manifestations de groupe, où apparaissent pêle-mêle – et il sera impossible de tous les citer tant ils sont nombreux – un petit garçon qui, malgré son jeune âge, est très au fait de la sexualité – de l’hélicobite au doigt dans l’anus en passant par les tétons de la maître-nageuse qui pointent sous son t-shirt –, un EVJF où les « jeux » à connotation graveleuse mobilisent des godemichets sous toutes leurs formes – du gâteau au pendentif –, un homme qui, grâce à l’outil numérique, cherche de l’affection pour combler sa solitude, un autre qui ne désire que du fétichisme et un dernier qui semble avoir trouvé chaussure à son pied avec une intelligence artificielle, des ados qui jouent aux Barbies de façon un peu douteuse, une mère qui explique à sa fille comme on enfile un tampon en plein milieu d’un magasin, ou encore des femmes que des margoulins pénètrent à la hussarde et à la sauvage ; mais aussi des fragments de conversations entre les quatre jeunes interprètes que Séverine Chavrier a réunis. À travers leurs dialogues, Hugo Cardinali, Jimy Lapert, Jasmin Sisti et Judit Waeterschoot portent la voix d’une génération, la leur, où les rencontres se font grâce à des dates ou à des fêtes, où l’amour, y compris physique, à plusieurs n’est plus un tabou, où les réseaux comme Instagram ou Snapchat ont remplacé le bon vieux téléphone filaire, où la fluidité des genres n’a d’égale que celle des relations – avec les doutes et les interrogations intimes que cela suppose, notamment en matière de polyamour.

Ainsi décrit, Occupations pourrait passer pour un gigantesque fatras, une compilation brouillonne à force de vouloir être exhaustive des modes amoureux des temps passés et présents, et des étincelles que leur entrechoquement produit, mais, face à ce que le plateau génère sous la houlette de Séverine Chavrier, il n’en est rien, tant la force de destruction créatrice qu’on lui connaît, et qu’elle pousse sans doute ici plus loin qu’elle ne l’avait jamais expérimentée, lui permet d’élaborer, fragment après fragment, un panorama fécond et réflexif, qui ne fait que refléter le chaos dans lequel se trouve aujourd’hui l’expérience de l’amour. Car si le solide carcan patriarcal, tout comme ses vecteurs et ses représentations toxiques – de la presse masculine à Barbie et Ken –, que peuvent décrire, chacun à leur endroit et à leur manière, Annie Ernaux, Simone de Beauvoir – « L’acte générateur consistant dans l’occupation d’un être par un autre être, impose, d’une part, l’idée d’un conquérant, d’autre part, une chose conquise » – ou Paul B. Preciado – « Face à la restauration de la ségrégation sexuelle de sphères qui exhortait l’homme à laisser le pavillon de banlieue aux mains des femmes, Playboy va défendre l’occupation, la récupération ou la colonisation masculine de l’espace domestique » –, semble avoir du plomb dans l’aile – sans être tout à fait mort –, le terrain de jeu amoureux s’est aujourd’hui transformé en un immense champ de bataille, dont Séverine Chavrier révèle parfaitement la violence et la brutalité. À partir de ces deux mamelles, dont elle se sert comme carburant scénique, la metteuse en scène montre l’ampleur de la révolution à l’oeuvre, celle qui a mis à terre l’ancien schéma unique hétéronormé avec son lot de modèles romantiques mensongers, façon Petite Maison de la prairie ou un Papa, une Maman, deux enfants, un chien, un Scénic et un pavillon avec jardin, et refuse d’en imposer un nouveau, lui préférant une pluralité d’expériences et/ou de modes de vie qui peuvent, en le laissant seul à la barre et unique maître de son destin amoureux, provoquer un sentiment de déréliction chez l’individu.

Et c’est bien cette perte de repères, cette dé-structuration, que Séverine Chavrier, grâce à son habituelle grammaire scénique où se mêlent interprétation de haute intensité, travail sur le son et vidéo à tous crins, met brillamment en jeu au plateau en faisant perdre le nord aux spectatrices et spectateurs installés en bi-frontal de part et d’autre d’une boîte scénique imaginée par Louise Sari. À mi-chemin entre le bazar, où, sur les rayonnages, les paquets de chips et les rouleaux de papier toilette côtoient, entre autres, des perruques, des jerricans, des bols, des fleurs artificielles et des produits ménagers, et le laboratoire humain et littéraire, où toutes les expériences, dopées aux mots des unes et des autres, sont épiées par des caméras omniprésentes, cet espace de consommation et de consumation se transforme en chaudron théâtral autant qu’en surface de projection, où, à la vitesse effrénée d’un fil d’actualité, se percutent l’ensemble des fragments imaginés. Techniquement impressionnante eu égard à la précision et à la vitesse de sa réalisation, cette performance foisonnante l’est tout autant grâce à l’engagement sans limite des quatre interprètes, sur les trajectoires desquels Séverine Chavrier a su capitaliser. Trajectoires intimes, dont elle nourrit avec doigté son propos, mais aussi parcours artistiques, en particulier ceux de Jimy Lapert et de Jasmin Sisti, qui embarquent tout le groupe dans une appréhension très physique du plateau, entraînant autant que les mots les corps dans la danse, et contribuent à faire d’Occupations une expérience unique en son genre.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Occupations
Mise en scène et son Séverine Chavrier
Avec Hugo Cardinali, Jimy Lapert, Jasmin Sisti, Judit Waeterschoot
Vidéo Quentin Vigier
Son Simon d’Anselme de Puisaye
Scénographie Louise Sari
Lumière Jérémie Cusenier, Alexandre Schreiber
Assistanat à la mise en scène Eleonore Bonah, Adèle Joulin
Assistanat à la scénographie, costumes et accessoires Maria-Clara Castioni, Margaux Moulin
Conseil dramaturgique Noémi Michel, Antoine Girard
Réalisation décor Ateliers de la Comédie de Genève

Production Comédie de Genève
Coproduction T2G – Centre Dramatique National de Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris

Avec des citations des œuvres d’Annie Ernaux (Passion simple, Les Années, Mémoire de fille, L’Occupation, Se perdre), Paul B. Preciado (Pornotopie, La Société contre sexuelle), Iris Brey (Le Regard féminin), Kim de l’Horizon (Hêtre pourpre), Catherine Clément (L’Opéra ou la défaite des femmes), Judith Butler (Trouble dans le genre), Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe) et Hélène Giannecchini (Un désir démesuré d’amitié)

Durée : 2h
À partir de 18 ans

Vu en novembre 2025 à la Comédie de Genève (Suisse)

T2G, CDN de Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 4 au 15 décembre

Théâtre des 13 vents, CDN de Montpellier
du 17 au 20 février 2026

23 novembre 2025/par Vincent Bouquet
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