Le sujet est d’actualité mais le théâtre s’en saisit peu. Grâce à Sonia Chiambretto, le rapport des jeunes des quartiers populaires avec la police est au centre d’Oasis Love. Mais comme son titre l’indique, il s’agit de convertir la haine en amour, à la recherche du cop idéal. Une pièce fragmentée et originale à la distribution de feu.
Sonia Chiambretto a l’art du recueil. Le recueil des paroles qu’elle croise à travers ses nombreuses résidences « sur le terrain », souvent dans des territoires de l’ombre, dans les quartiers populaires de Strasbourg, Marseille, Nanterre, St-Ouen ou autre centre d’accueil de Mineurs non accompagnés. Le recueil aussi de ses propres textes, écrits au gré de ces expériences, disséminés, en attente dans ses tiroirs, dans des disques durs, ou ayant trouvé refuge sous des couvertures. Elle en assemble ici quelques-uns, dans Oasis Love, de manière un peu baroque, il faut bien le dire, mais intéressante. Un texte sur les jeunes des quartiers populaires et l’amour, Tu me loves. Un autre sur leurs rapports avec la police (Polices!). Un poème paru dans une revue, et son travail plus récent sur les phénomènes d’émeutes.
Alors parfois ça grince dans les transitions. On se perd dans les zig-zags. Les échos ont du mal à s’opérer entre toutes ces approches et le spectateur ne sait plus sur quel pied danser. Mais ces défauts ne doivent pas occulter tout l’intérêt du travail de Sonia Chiambretto et de ses jeunes interprètes d’Oasis Love. Commençons d’ailleurs par ces derniers qui, même si la diversité commence à investir les plateaux du théâtre public, posent de ce point de vue leur singularité. Dans une distribution largement masculine, la malice de Déborah Dozoul, la corporalité impressionnante d’Emile-Samory Fofana, l’art entre poésie et stand-up de Théo Askolovitch (qui poursuivra à Théâtre Ouvert en tant qu’auteur metteur en scène ) fonctionnent à merveille. Et Julien Masson, Felipe Fonseca Nobre et la passerelle américaine qu’offre Lawrence Davis à la situation française sont à la hauteur d’une distribution jeune et diverse, qui véhicule l’âme des quartiers populaires autant que de l’universel humain. Sur une estrade mobile, large comme un ponton, devant des immenses silhouettes d’immeubles en forme de boîtes aux lettres, iels campent tour à tour la jeunesse des quartiers et des flics en formation, et surtout se saisissent avec force de l’écriture de Sonia Chiambretto.
Car la fragmentation du travail de l’autrice-metteuse en scène ne s’opère pas que dans la composition générale, elle se répercute jusque dans les mots, les syllabes, la matière du langage que Sonia Chiambretto triture et malaxe dans l’écriture et donne à travailler à ses interprètes. Au départ, face à une énumération à la mitraillette qui nous renvoyait au début des années 2000, on a pris peur. Mais ensuite, ce travail sur l’oralité qui permet au texte de Chambretto de créer de nouvelles voix nous a convaincus, parce qu’il déstructure la pensée, oblige à reconsidérer notre rapport au monde en mettant en question ce qui nous permet de le saisir et de le conceptualiser. Interprétant leurs personnages tout en portant ces fragments comme de véritables poèmes, les interprètes marchent sur un fil. Comme tout le spectacle d’ailleurs, qui sinue allègrement entre les écueils de la compassion à sens unique, de la fascination pour le parler banlieue ou encore de la critique anti-flics de bon aloi (en les évitant tous, cela va de soi).
Quartiers populaires et violences policières, le sujet est brûlant depuis la mort de Nahel (il l’est en fait depuis bien plus longtemps et le travail de Sonia Chiambretto avait largement précédé l’événement ). Qu’en dire qu’on ne sache déjà ? Quelle voie tracer qui ne se termine pas en impasse ? Si le spectacle à la mise en scène plaisante emprunte quelques chemins balisés – le sexisme dans les quartiers populaires, les violences policières au quotidien pour les jeunes – il trace aussi sa propre route en menant de front quête de l’amour et rapports avec la police. Cette jeunesse des quartiers qui fascine et fait peur s’en trouve humanisée, prise à rebrousse poils, à contre-pied, dans ses fulgurances et ses excès, sa justesse et sa beauté, et la quête du policier idéal que la réalise in fine Chiambretto apporte un horizon fictionnel intéressant. Il se prend malheureusement de plein fouet les dystopies de robocops qu’on nous présente de toutes parts comme un futur probable et/ou désirable.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Oasis Love
[Théâtre]
Conception, texte et mise en scène, Sonia Chiambretto
Avec la collaboration artistique de Yoann Thommerel
Avec Théo Askolovitch, Sonia Chiambretto, Lawrence Davis, Déborah Dozoul, Emile-Samory Fofana, Felipe Fonseca Nobre, Julien Masson
Assistanat à la mise en scène, Pierre Itzkovitch
Scénographie, Léonard Bougault
Création lumière et régie générale, Neills Doucet
Design graphique et typographique, Julien Priez
Création son, Thibaut Langenais
Création costumes, Étienne Diop
Régie générale, Nicolas Barrot
Administration et production Fanélie Honegger
Production Le Premier épisode | Sonia Chiambretto & Yoann Thommerel
Coproduction Théâtre Ouvert — Centre National des Dramaturgies Contemporaines ; Théâtre Nanterre-Amandiers – CDN ; Comédie de Caen – CDN de Normandie ; Festival d’Automne à Paris ; Théâtre de Saint Nazaire – Scène Nationale ; Théâtre National de Strasbourg ; Les Nouvelles Vagues, Fondation Agnès B
Soutiens de la Drac Normandie ; région Normandie ; département du Calvados ; ville de Caen ; Adami ; Fonpeps
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Sonia Chiambretto est autrice associée au Théâtre Nanterre-Amandiers – CDN et à la Scène Nationale de Saint Nazaire
La compagnie Le Premier épisode est associée à la Comédie de Caen Centre Dramatique National
Sonia Chiambretto est représentée par L’Arche – agence théâtrale
Théâtre Ouvert, le Théâtre Nanterre-Amandiers – CDN et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation.Tu me loves a été publié aux éditions Filigranes
Polices ! été publié aux éditions Grmx en 2011 puis aux éditions de L’Arche en 2018 dans une version augmentée. Dans le spectacle se trouve également un texte tiré du livre Peines mineures publié par L’Arche cette année.Durée 1h20
Festival d’Automne à Paris 2023
Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines
Du 18 au 30 Septembre 2023
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