Le metteur en scène franco-allemand Matthias Langhoff signe une version bolivienne de La Mission. Il impose une lecture résolument engagée et décentrée de la pièce d’Heiner Müller.
Matthias Langhoff qui a déjà monté La Mission en 1989 – date doublement historique de l’anniversaire du bicentenaire de la Révolution française et de la chute du mur de Berlin – atteste une nouvelle fois de l’universalité choc du propos d’Heiner Müller. Si le grand dramaturge est-allemand raconte le parcours de trois émissaires gouvernementaux partis en Jamaïque pour mener le soulèvement des esclaves contre les Britanniques à la fin du XVIIIe siècle, c’est pour interroger l’héritage d’un idéal révolutionnaire chez ses contemporains à la fin des années 1970 en RDA. L’idée qu’aujourd’hui la pièce soit interprétée par des comédiens boliviens de la troupe Amassunu issue de la première école nationale de théâtre du pays fondée en 2004 par Marcos Malavia, ne manque pas de susciter l’intérêt. Cela permet une autre approche, une autre compréhension, d’un propos difficile qui, malgré une restitution parfois brouillonne ou démonstrative sur le plateau, se voit revitalisé par sa recontextualisation totale. La révolution n’a pas de patrie.
Langhoff travaille en prise avec le réel et sa mise en scène témoigne d’une véritable rencontre avec la Bolivie, son territoire et sa population. Il fait se croiser avec pertinence documents d’archives et témoignages captés in situ, c’est-à-dire dans la rue, les commerces, les terrains vagues et les campements de la périphérie de Santa Cruz de la Sierra mais aussi du 19e arrondissement de Paris où les migrants sont chassés par les CRS. La pièce se confronte aux difficultés traversées par le pays dans sa tentative d’émancipation. L’ancienne colonie exsangue mais rebelle a connu une histoire en constante instabilité, émaillée, plusieurs décennies durant, de luttes ouvrières très dures contre la dictature et le pouvoir militaire.
La précarité suinte dans le baraquement choisi pour décor. Sur une pente déclinante, vivote une petite communauté comme une civilisation à la dérive. Une femme ne quitte pas la place et prépare une popote fumante et odorante. On mange, on boit, on danse, pour conjurer le sort et se sentir vivant. Composite et disparate, l’ensemble manque de lisibilité mais demeure d’une éblouissante crudité : érotisme, violence, gangrène gagnent le terrain sans provocation.
De la révolution française, ne reste qu’un héritage dégradé : une pin-up aux formes généreusement galbées sous l’inscription « Révolution Club » figure sur un drapeau tricolore, un homme ventripotent réclame un bain de sang en se vidant une bouteille de vin rouge sur la tête, le même s’engouffre entre les cuisses chaudes de l’ange du désespoir représenté ici en prostituée… La pièce est faite de désir et de désenchantement mêlés. La mission est autant l’histoire d’un incroyable espoir que celle d’un retentissant échec, celui de la révolution comme des révolutions où la liberté espérée n’empêche la servitude de perdurer.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Mission, souvenir d’une révolution
de Heiner Müller mis en scène par Matthias Langhoff
avec Javier Ambol, Susy Arduz, Fernando Azoge, Selma Baldiviezo Casis, Alana Delgadillo, Jessie Gutierrez, Óscar Leaño, Antonio Peredo Gonzales, Ana Marcela Mendez, Marcelo Sosa, Gabriela Tapia (membres d’Amassunu, troupe permanente de l’École Nationale de Théâtre)
scénographie Catherine Rankl
lumières et son Caspar Langhoff
assistant Carlo Sciaccaluga
régie tournée Mario Aguirre
administration Mireille Brunet
production Marcos Malavia
production Escuela Nacional de Teatro de Santa Cruz de la Sierra , Bolivie producteur délégué en France Sourous compagnie coproduction Théâtre de l’Union, Limoges – Comédie de Caen – Théâtre de la Ville, Paris – Théâtre des Célestins, Festival Sens Interdits, Lyon – Le Théâtre St Gervais, Genève – Compagnie Sourous
Durée : 2h10Théâtre National de la Commune Aubervilliers
11 Octobre au 20 Octobre 2017
MAR, MER ET JEU À 19H30, VEN À 20H30, SAM À 18H, DIM À 16HFestival Sens Interdit de Lyon
Théâtre des Célestins
sam. 28/10 21h00
dim. 29/10 16h00
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