Comment massacrer l’un des chefs d’œuvre du répertoire ? En décidant qu’on peut le monter avec légèreté, comme une vulgaire comédie de boulevard. Dan Jemmet a osé le faire. Le public a l’air conquis, mais sa mise en scène est déplorable.
Des policiers en uniformes dans le bar d’un club house (le bar d’un club d’escrime) et Horatio croisent le Spectre (Eric Ruf qui ressemble à Emmett Brown, le professeur fou de Retour vers le futur). Cette entrée en matière si énigmatique dans la pièce de Shakespeare devient une pâle scène sans mystère et laisse augurer le pire. Ce n’est pas le fait d’avoir transposer l’action dans les années 70 (avec des costumes pattes d’eph) qui est gênante, c’est la parti pris du metteur en scène anglais. Il ne respecte pas l’œuvre de Shakespeare. Il en fait une comédie de boulevard sans intérêt. On a le sentiment de regarder une très mauvaise série télévisée. D’ailleurs Denis Podalydès (Hamlet) a du mal à trouver ses marques. Hervé Pierre (Claudius) et Clotilde De Bayser (Gertrude) semblent plus à l’aise. Mais globalement les comédiens sont prisonniers de cette mise en scène qui les obligent à jouer le drame dans le registre de la comédie.
Le jeu est très frontal, les comédiens prennent souvent à parti les spectateurs, jusqu’à descendre dans la salle. Dan Jemmet utilise de très grosses ficelles qui très rapidement sont énervantes. Le public n’y voit que du feu, il rit. Les plus jeunes sont séduits. C’est assez dramatique de donner à voir cette version d’Hamlet, l’un des plus beaux drames du répertoire. Que dire du rôle confié à Elliot Jenicot qui interprète à la fois les personnages de Rozencrantz et Guildenstern (qui est un chien en marionnette qu’il tient dans ses bras). Mais il y a bien pire : en urinant Hamlet lit les graffitis sur le mur des toilettes et découvre le fameux To bo or not to be. Et c’est toujours dans les toilettes que meurt empoisonnée Ophélie (Jennifer Decker) après avoir ingurgité des calmants. La fin du spectacle est bâclée, car les drames se succèdent et forcément le parti pris de Dan Jemmet ne peut plus fonctionner. Bref on n’a pas souvent l’occasion d’utiliser ce mot : mais cette mise en scène est un désastre.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
La Tragédie d’Hamlet
de William Shakespeare
texte français d’Yves Bonnefoy
mise en scène de Dan Jemmett
Avec
Éric Ruf, le Spectre, Premier comédien, Fortinbras
Alain Lenglet, Horatio
Denis Podalydès, Hamlet
Clotilde de Bayser, Gertrude
Jérôme Pouly, Laërte
Laurent Natrella, Bernardo, Valtemand, Deuxième comédien, le Marin, Premier fossoyeur, le
Prêtre, l’Ambassadeur d’Angleterre
Hervé Pierre, Claudius
Gilles David, Polonius
Jennifer Decker, Ophélie
Elliot Jenicot, Rozencrantz et Guildenstern
Benjamin Laverhne, Marcellus, Reynaldo, Troisième comédien, un capitaine, Osrik, Deuxième fossoyeur
Collaboration artistique et dramaturgie, Mériam Korichi
Scénographie, Dick Bird
Costumes, Sylvie Martin-Hyszka
Lumières d’Arnaud Jung
Coiffures, Cécile Gentilin
Maquillages, Laura Ozier
Maître d’armes, Jérôme Westholm
Durée: 3h15 avec entracte
7 octobre 2013 au 12 janvier 2014
Salle Richelieu, matinées à 14h, soirées à 20h30.
Une honte cette mise en scène.
Mais dans la salle, il y a ceux qui ne connaissent pas la pièce, et qui rient et ceux qui la connaissent, ne rient pas. Et ceux qui rient connaissant la pièce: par cynisme sans doute. Ou alors volonté nette de ne pas transmettre la culture qu’on leur a donné.
En même temps, on entend le texte, et si on l’entend on réalise tout de même l’énormité de la suite des contresens mis en scène.
Aucune beauté, aucune émotion et donc aucun travail sur les différents registres de cette tragédie.
Une démolition en bonne et due forme, une commande de démolition.
Pourquoi la Comédie Française transmettrait la culture après tout??