En revenant à ses pièces de vent et en s’adressant à nouveau au jeune public après l’iconique et indémodable L’après-midi d’un foehn, Phia Ménard signe avec Nocturne (Parade) une magnifique fable (presque) sans parole sur le pouvoir de l’enfance, à même, espère-t-elle, de torpiller la dangerosité des dirigeants de notre monde par son imagination et sa ténacité.
La jauge est petite : 120 ou 140 places assises selon les configurations, sur trois rangs circulaires percés de part et d’autre par l’entrée des artistes et du public. Il n’y a pas là l’espace pour le gigantisme du décor de Maison Mère ou la dureté de celui d’Art. 13, qui avait fini par plomber le travail créatif de cette artiste majeure qu’est Phia Ménard. En 2008, elle créait coup sur coup deux de ses œuvres phares, P.P.P., une pièce d’un cycle consacré à la glace, et L’après-midi d’un foehn, première version bientôt augmentée et doublée de Vortex, fascinante pièce du vent. À chaque fois, la métamorphose intime est au cœur du sujet ; puis, Phia Ménard va développer des projets plus amples et frontalement politiques, paradoxalement moins puissants. Nocturne (Parade) semble synthétiser toutes ces approches avec une simplicité apparente qui n’a d’égale que son ingéniosité.
Au milieu de douze ventilateurs, sur une estrade circulaire haute de quelques centimètres seulement, mais suffisants pour en faire à la fois des tombeaux et une autre source de soufflerie et de vie, la jongleuse et ses complices, Fabrice Ilia Leroy et Clarisse Delile, vont aiguiller, sans jamais les manipuler, tous les figures qui se déploient sous les yeux ébahis des enfants (dès huit ans) comme des grands. Le son du galop d’un cheval accompagne l’entrée du public, jouant des sources sonores multidirectionnelles, puis, un long noir total se fait pour plonger dans l’histoire du Roi des Aulnes que Goethe transforma en poème, celui que l’on entend. Un enfant, arrimé à son père sur le dos d’un cheval, sent poindre un danger mortel que l’adulte ne voit pas ou ne veut pas voir. C’est la parabole de notre époque en déréliction incarnée dans cette pièce par une multitude de Trump volants au-dessus d’une marée de bagnoles (en plastique). La toute-puissance résumée par le pétrole. Sans un mot, si ce n’est le prologue, Phia Ménard parvient à créer un dialogue très fort avec la musique de Chopin – à qui elle emprunte le titre Nocturne –, trafiquée par Ivan Roussel et les aplats noirs et blancs, puis colorés, souvent géométriques, conçus par Éric Soyer, éternellement lié par ailleurs au travail de Joël Pommerat.
Mais surtout, Phia Ménard retrouve son art de donner vie à ces morceaux de plastique comme d’autres cousent du tissu. Elle ne fabrique pas des vêtements, mais des marionnettes d’enfants, d’adultes, de cheval et même de morts. Il faut voir comment ils titubent, tiennent à peine à la verticale, puis gagnent en assurance, conquièrent les airs, et jouent même avec un cerceau. Le cirque n’est jamais loin de la Nantaise. Ils tombent, se relèvent, s’agglutinent, se serrent les uns contre les autres. Quand la mort l’emporte, ce n’est que passager ; quand l’enfant est vaincu et qu’elle présente son corps ratatiné à tout le public, Phia Ménard opte pour le subterfuge malicieux de gonfler un ballon de baudruche vert, couleur de la nature tant mise à mal par les adultes, et le voilà qui revit.
Cependant, la metteuse en scène, avec son complice Jonathan Drillet à la dramaturgie, ne cherche pas pour autant à se réfugier dans un monde subitement sublimé. Que ce soit par le noir du début ou les sons pétaradants très forts de tirs d’artillerie, le tableau peint est indubitablement sombre. Tadeusz Kantor et le gamin Oskar du Tambour de Volker Schlöndorff sont des références qu’elle met en avant dans le dossier de production de cette création et, clairement, ils sont là, que ce soit les pantins du Polonais ou le cri de cet enfant frondeur. Ce spectacle est rageur autant qu’apaisant. Les drapeaux noirs finissent même par disparaître, mais ne sont pas remplacés par un blanc synonyme de paix et d’arrêt des hostilités. Ce serait trop simple. Dans un espace difficilement définissable – celui des vivants ou des morts ? –, peuplé de feux follets qui virevoltent, Phia Ménard se saisit d’un étendard translucide, non pas dévitalisé, mais de ceux qui peuvent encore laisser passer la lumière. Il vibre au-dessus de l’enfant retrouvé, (à) nouveau-né.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Nocturne (Parade)
Idée originale, création, chorégraphie Phia Ménard
Création des marionnettes et objets Phia Ménard et Fabrice Ilia Leroy
Interprètes Phia Ménard et Cécile Briand en alternance, Fabrice Ilia Leroy
Collaboration artistique Cécile Briand
Dramaturgie Jonathan Drillet
Création musicale Ivan Roussel
Création lumière Éric Soyer
Régie du vent Clarisse Delile
Régie son Ivan Roussel et Manuel Menes en alternance
Régie lumière Aurore Baudouin et Mickaël Cousin en alternance
Co-directrice, administratrice et chargée de diffusion Claire Massonnet
Régisseur général Olivier Gicquiaud
Stagiaire artistique Amélia DantonyProduction Compagnie Non Nova – Phia Ménard
Coproduction La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale ; Maison de la danse, Lyon – Pôle européen de création ; TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine ; La Comédie – CDN de Saint-Étienne ; Scène nationale de l’Essonne ; Le Volcan – Scène nationale du Havre; Théâtre National de Bretagne – CDN, Rennes ; Mixt, terrain d’arts en Loire-Atlantique ; Le Théâtre – Scène Nationale de Saint-Nazaire ; Les Quinconces & l’Espal – Scène Nationale du Mans ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis à BobignyLa Compagnie Non Nova – Phia Ménard est conventionnée et soutenue par l’Etat –Drac des Pays de la Loire, la ville de Nantes et le conseil départemental de Loire-Atlantique. Elle reçoit le soutien de l’Institut Français.
La Compagnie Non Nova – Phia Ménard est artiste associée au Théâtre National de Bretagne – CDN, Rennes, à la Maison de la Danse et à la Biennale de la Danse de Lyon, à la Scène Nationale de l’Essonne.
Durée : 1h
À partir de 8 ansVu en novembre 2025 à La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
Théâtre National de Bretagne, CDN, Rennes
du 18 au 22 novembreLe Tangram, Scène nationale, Évreux
les 25 et 26 novembreLe Volcan, Scène nationale du Havre
du 29 novembre au 1er décembreDSN – Dieppe Scène Nationale
du 4 au 6 décembreLe Grand R, Scène nationale La Roche-sur-Yon
du 9 au 11 décembreLe Quai, CDN Angers Pays de la Loire
du 18 au 20 décembreScène nationale du Sud-Aquitain, Saint-Jean-de-Luz
du 22 au 24 janvier 2026Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
du 27 au 31 janvierThéâtre du Nord, CDN Lille – Tourcoing, en partenariat avec Le Grand Bleu
du 11 au 13 févrierCDN de Normandie-Rouen
du 11 au 14 marsLe Sablier, Centre National de la Marionnette, Ifs, dans le cadre du Festival Spring
du 17 au 19 marsLe Trident, Scène nationale de Cherbourg-en-Contentin, dans le cadre du Festival Spring
du 22 au 25 marsMC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 1er au 8 avrilCentre Culturel Robert Desnos, Scène nationale de l’Essonne, Ris-Orangis
du 16 au 18 avrilLes Quinconces et L’espal, Scène nationale du Mans
du 28 au 30 avrilEquilibre-Nuithonie, Villars-sur-Glâne (Suisse)
les 9 et 10 maiLa Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
du 19 mai au 22 maiLa Maison de la Danse aux Subsistances, Lyon
du 26 au 28 mai



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