Après Parpaing, l’auteur, acteur et metteur en scène présente dans le Festival Off d’Avignon le deuxième volet de sa « trilogie des monstres », Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?, et revient sur son geste théâtral très personnel, hypersensible et engagé.
Créé il y a déjà plusieurs années, et présenté à La Manufacture dans le Off d’Avignon, Parpaing s’impose comme un geste fondateur, tant son signataire et interprète, Nicolas Petisoff, y endosse les rôles d’auteur, d’acteur et de metteur en scène, tout en y exposant son intimité. La pièce prend pour point de départ un coup de téléphone reçu par la chargée d’administration de la compagnie pour laquelle il travaillait. Un monsieur cherche à joindre l’artiste et se présente comme le mari de sa mère biologique désormais décédée. Écrire là-dessus « est une expérience passionnante et déchirante. Mon objectif était clair : il n’était pas question de faire une séance de psychanalyse au plateau, mais d’éviter tout pathos et d’utiliser les mots les plus justes pour raconter et boucher les trous de ma vie », souligne le comédien.
Dire, s’adresser, trouver et s’approprier les bons mots, pour dire ce qu’on pense, ce qu’on ressent, qui on est… c’est à nouveau la vocation du spectacle Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?. La pièce parle d’amour, mais le langage est l’un de ses autres thèmes importants car il participe à l’acte de se définir. « Je me suis lancé par hasard dans l’écriture et je ne me sentais pas légitime, confie Nicolas Petisoff. J’avais besoin de retours sur mon travail, d’être tout le temps validé, par le regard complice de Denis Malard [cofondateur de sa compagnie, NDLR], par mon équipe, et aussi par le public puisque je m’adresse directement à lui. Rencontrer, à l’occasion de lectures de mes textes, des regards tendus, des sourires émus, voir les gens rire et pleurer, cela m’a conforté. J’étais heureux de constater que je parlais aussi de leur vie sans mentir sur la mienne. »
Sur scène, le comédien partage ses interrogations et ses convictions, avec autant de sincérité que de générosité. Il parle notamment librement de la découverte de l’homosexualité. Comment se définir et s’assumer quand on se sait étranger à ce qui s’appelle la normalité ? C’est ce qu’interroge la pièce avec une confondante et bouleversante authenticité. « Je ne cherche pas seulement à provoquer de l’émotion, je veux surtout partager, ouvrir le débat, accueillir le dialogue », raconte celui qui, dans ce nouvel opus, élargit son propos à d’autres voix. Un dispositif inclusif qui évoque celui d’un cercle de paroles, les Amoureux Anonymes. Il permet de garantir une certaine proximité, une écoute et un respect auxquels l’équipe se montre attentive entre les interprètes et les spectateurs qui peuvent suivre la pièce depuis les gradins ou à l’intérieur de l’espace de jeu. Nicolas Petisoff partage la scène avec deux partenaires qui lui sont proches « Ce qui est dit s’inspire toujours de mon vécu, mais est enrichi de plein d’échanges et de rencontres, je l’ai écrit au plus proche de la personnalité et de la sensibilité des comédiennes. » Trois prises de paroles successives font entendre autant de vibrants témoignages qui sèment le trouble entre véracité et réalité fictionnalisée.
Une part évidente de militantisme
Less (Leslie Bernard) évoque ses années d’apprentissage au collège, les garçons au gymnase, les parties de jeu « action ou vérité » qui dérapent, sa relation avec un homme dont elle a l’assurance qu’il n’est pas le « bon » corps. Elle dit ne pas savoir ce que veut dire « aimer », elle se pense trop fragile pour lutter. Dans l’atmosphère moite et suintante d’une salle de concert bondée, elle rencontre Manu (Emmanuelle Hiron), pour qui l’amour est un combat. Gonflée à bloc par la lecture de Virginie Despentes, elle veut vraiment changer la société. Enfin, Nico tombe amoureux à tour de bras et se dit « blessé » d’être seulement « le copain », « le gars sympa » qui n’est pas désiré. Cela, il le porte comme un fardeau, partagé entre la honte et la culpabilité. « Aujourd’hui, je n’ai pas peur de ce sujet, et je le porterai jusqu’à ce que ce n’en soit plus un. Pour autant, je ne veux pas délivrer un discours de niche. Parler d’homosexualité, c’est proposer un endroit d’identification qui est moins évident pour les gens qui ne le sont pas, mais, moi qui n’ai pas eu de modèles pour me construire, je voudrais que l’hétéronormativité majoritaire dans notre société se reconnaisse dans des histoires d’amour homosexuelles. C’est comme une catharsis inversée, un retournement des stigmates. Sans être présomptueux, j’espère que ce qui relève de mon intimité est voué à disparaître, à ne plus m’appartenir pour mieux tendre à l’universalité. »
Alors que l’incertitude planait sur les résultats des élections législatives en ce début de festival, « des compagnies s’interrogeaient : que faire après le 7 juillet ? Tout arrêter ? Non, surtout pas. Dans un contexte aussi tendu, je me sentais au contraire galvanisé par l’adversité. J’aurais pu jouer pendant 15 jours même gratuitement pour faire entendre à tous le propos qu’on veut défendre », affirme-t-il. En ouvrant la représentation sur des images vidéo de manifestations LGBTQIA+, en scandant des slogans particulièrement véhéments, en refermant le spectacle sur un geste frontal, là encore insurrectionnel, Nicolas Petisoff revendique une part évidente de militantisme. « Je cherche aussi de la douceur et de l’espoir, j’aime bien dire que ça va aller, confie-t-il. J’ai l’impression qu’avec Denis, nous avons monté le spectacle que j’aurais aimé voir à mes 14-15 ans. Des jeunes gays en mal de repères, des parents aussi dont les enfants ont une sexualité différente viendront voir la pièce, traverseront des états de détresse, de colère, et pourront sans doute s’en consoler, se rassurer. »
Christophe Candoni – www. sceneweb.fr
Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?
Concepteur, auteur Nicolas Petisoff
Mise en scène DENICO
Avec Leslie Bernard, Emmanuelle Hiron, Nicolas Petisoff, la participation de Hedda Gauchard, Raphaël Mathieu, Céline Malard-Béquin et la voix off de Béatrice Dalle
Concepteur, régisseur général Denis Malard
Assistante metteuse en scène Camille Lockhart
Compositeur musical Guillaume Bertrand avec la participation du groupe Alberville et la voix d’Anaïs Blanchard
Création lumière Stéphane Babi Aubert
Régisseur lumière Baptiste Michel
Construction François Aubry
Costumes Marie La Rocca
Création graphique KarosabutkissProduction 114 Cie / Nicolas Petisoff & Denis Malard
Production déléguée Le Bureau des Paroles / CPPC
Coproduction Centre de Productions des Paroles Contemporaines – Rennes ; Centre Culturel Jacques Duhamel – Vitré ; Théâtre de la Ville de Saint-Lô ; Le Tangram, Scène nationale d’Evreux ; Les Scènes du Jura, Scène nationale – Lons-le-Saunier ; CDN de Normandie – Rouen ; Cie L’Unijambiste
Le spectacle bénéficie du soutien de Au bout du Plongeoir et de La Coopération Nantes-Rennes-Brest-Rouen – Itinéraires d’artiste(s) : Au Bout du Plongeoir – Thorigné-Fouillard, La Chapelle Dérézo – Brest, Les Fabriques, laboratoire artistique – Nantes, CDN de Normandie – Rouen ; Théâtre du Cercle ; TPA Théâtre Populaire d’Aujourd’hui – Théâtre Sorano
Aide à l’écriture du Centre National du Livre par la Bourse Découverte
Avec le soutien financier du Fonds de dotation Porosus et l’aide à la production dramatique du Ministère de la Culture – DRAC Bretagne et de la Région Bretagne.La 114 Cie est soutenue pour son fonctionnement par la Ville de Rennes.
Durée : 1h30
Festival Off d’Avignon 2024
La Manufacture – Patinoire
du 4 au 21 juillet (relâche les 10 et 17), de 13h50 à 16h10 (trajet en navette compris)
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